Le sens de nos rituels

Alors qu’en est-il du sens des cérémonies ? Et notamment du fait que l’on récite plusieurs choses durant une cérémonie.
C’est justement parce qu’en fréquentant les maîtres japonais, en faisant des sesshin au Japon ou en faisant l’ango ici, on comprend de mieux en mieux le sens du rituel, qu’on est amené périodiquement à faire de petits changements pour essayer d’être plus juste dans ce que l’on fait.
Il faut dire aussi, pour mieux comprendre le contexte, que Maître Deshimaru, quand il est venu en Europe en 1967, n’avait été ordonné moine que depuis une année. Il avait une longue pratique de zazen mais comme laïc ; il faisait des sesshin avec Maître Kodo Sawaki mais il n’avait pas une grande expérience de la vie dans les temples. Donc il a créé… En plus il n’avait surtout pas l’intention d’introduire un zen ritualisé parce qu’il pensait que ce n’était pas du tout adapté à la mentalité européenne – je pense qu’il avait raison, donc il a commencé très simplement ; d’abord il récitait l’Hannya shingyo, puis après il a rajouté les Quatre Vœux du Bodhisattva etc.
A la fin, au moment où il est mort, on chantait essentiellement trois fois l’Hannya shingyo et ensuite les Quatre Vœux du Bodhisattva, l’Eko et le Ji Ho San Shi.

Un premier changement a été introduit après sa mort car on se disait : après tout, on n’est pas obligé de chanter tout le temps l’Hannya shingyo trois fois ; il y a d’autres sutra qu’on peut chanter, qui sont très significatifs dans notre tradition. Et on a rajouté le Sandokai et alternativement l’Hokyozanmai, ainsi que le Daishin darani. Puis, au lieu de chanter un Eko relativement abrégé dans lequel on résume la lignée, on a ajouté le fait de chanter toute la lignée de Bouddha Shakyamuni jusqu’à Keizan, puis Kodo Sawaki, Maître Deshimaru et dans ma Sangha, Niwa Renpo Zenji.
Cela a été le premier changement. Le but n’était pas de rallonger les cérémonies mais de varier un peu, au lieu de chanter tout le temps la même chose. Et pendant longtemps, dans les sesshin, on chantait en plus de l’Hannya shingyo, tantôt le Sandokai, tantôt l’Hokyozanmai, tantôt le Daishin darani. On s’est même mis à chanter le Kannon gyo, toujours alternativement. Et alternativement également, les Patriarches.

Un autre aspect vient de ce que chacun de ces sutra est dédié à des êtres particuliers. Cela est l’occasion d’approfondir un peu plus le sens du rituel.
Les rituels dans le zen ne sont pas faits pour obtenir des mérites et ils ne sont pas nécessaires. On les fait vraiment avec un esprit mushotoku, on n’attend pas d’obtenir quoi que ce soit quand on les fait, mais on y exprime trois choses au moins, parfois plus.
La première chose que l’on exprime, à travers l’Hannya shingyo c’est véritablement la dimension profonde de l’éveil de zazen, la sagesse. Le sutra de l’Hannya shingyo est l’expression de la sagesse et donc de la compassion telle qu’elle se manifeste quand on pratique profondément le zazen. On exprime également au cours de la cérémonie un autre sentiment important qui est la gratitude, c’est-à-dire remerciement, reconnaissance à Bouddha pour avoir ouvert la Voie de la pratique que nous poursuivons en faisant zazen.

Dans les temples au Japon où il y a une succession de sutra chantés le matin, il y a un eko après chaque sutra, parce que chaque sutra est destiné à exprimer la gratitude ou un autre sentiment vis-à-vis de certaines personnes.
L’Hannya shingyo est destiné à Bouddha ainsi qu’aux fondateurs. Ce matin on se posait la question de savoir qui étaient les grands, les quatre bienfaiteurs. Comme on le voit dans les eko abrégés, ces bienfaiteurs sont : Bouddha, Bodhidharma, Dogen et Keizan. Ce sont généralement les quatre grands fondateurs auxquels on pense, vis-à-vis desquels on exprime notre gratitude en chantant l’Hannya shingyo.
Ensuite on exprime notre gratitude à l’égard de toute la lignée des Patriarches, et on chante pour cela tantôt l’Hokyozanmai tantôt le Sandokai. Pour ce qui nous concerne, généralement on s’arrête là. Pour beaucoup c’est déjà un peu trop ! Donc on ne va pas en rajouter.

Mais au Japon traditionnellement on chante un troisième sutra qui est destiné aux parents, aux familles et aux ancêtres. Il exprime là encore une fois la gratitude vis-à-vis des parents, de la famille, des ancêtres. Si nos ancêtres n’avaient pas vécu et ne nous avaient pas transmis la vie, on ne serait pas là en train de pratiquer la Voie. Donc naturellement après zazen, on remercie nos parents de nous avoir permis, en nous donnant la vie, de pratiquer la Voie.

Et puis, il y a une quatrième catégorie de personnes à qui l’on dédie éventuellement un sutra, par exemple le Daishin darani, ce sont les malades, parfois sous la forme de kito, et aussi les morts. Dans ce cas-là ce n’est plus la gratitude qu’on exprime vis-à-vis des malades ou des morts mais la compassion.