On n’en est pas toujours là en tout cas au départ dans tous les cas la motivation initiale devrait être celle-là c’est à dire d’arriver dans un dojo avec une préoccupation fondamentale sur le sens de la vie. La vie qui est frappée par l’impermanence, la maladie, la souffrance et la mort et la recherche d’une résolution de cette souffrance à travers la pratique spirituelle.
C’est normalement la motivation pour laquelle on entre dans la pratique de la voie. Des fois on y entre par des chemins un peu détournés mais qui ont quand même généralement affaire avec un certain malaise, avec un certain sentiment d’insatisfaction dans la vie ; le sentiment qu’on passe à côté de quelque chose qui nous échappe et que si on réalisait cette chose là notre vie prendrait un sens plus profond et nous serions soutenus et aidés dans notre traversée des souffrances et des difficultés de la vie, si nous avions pu réaliser cela que la pratique du zazen est supposée nous faire réaliser.
Donc le Dharma est important et soutient notre pratique pour sa motivation mais il la soutien aussi parce que, étant donné qu’il est l’expression de l’éveil de Shakyamuni Bouddha, étudier le Dharma, étudier son enseignement, c’est étudier les différentes facettes de cet éveil. En étudiant et en approfondissant cet enseignement, c’est nous donner l’occasion de réaliser l’éveil à travers cette étude, pas seulement à travers le zazen. Ce qui est intéressant c’est de noter que Dogen qui faisait constamment l’apologie du zazen a écrit cette phrase d’un chapitre du shobogenso, qui est ma source d’inspiration pour ce soir, qui s’appelle bukkyo (qui signifie enseignement du Bouddha) ; dans ce chapitre où il fait allusion au mondo avec Gensha sur le fait que les enseignements ne sont éventuellement pas nécessaires et il confirme qu’ils ne sont pas nécessaires et vous allez voir pourquoi. Ils ne sont pas nécessaires parce que tous les enseignements finalement sont l’expression de « pas nécessaire » c’est-à-dire l’expression de mushotoku. L’expression d’un esprit réalisé dans lequel il y a une totale liberté intérieure, accomplie et donc une non dépendance par rapport à quoi que ce soit. Le « pas nécessaire » c’est, on peut le dire, la dimension ultime. Ce qui veut dire que l’enseignement égale « pas nécessaire » ; ça ne veut pas dire que les enseignements ne sont pas nécessaires, mais comprendre l’expression « pas nécessaire » et être dans cet état de non nécessité, de non besoin au delà des désirs, des conditionnements qui font la nécessité c’est justement l’enseignement du Bouddha, le Dharma.
Ce n‘est pas un jeu de mots, c’est le cœur même du sujet de ce soir. Du coup Dogen enchaîne en disant : « en fait le Dharma du Bouddha s’est exprimé sous trois formes principales et dans chacune de ces formes ceux qui suivent cet enseignement réalisent l’éveil ». Alors il décrit d’abord ce qu’il appelle le shravaka, c’est à dire les auditeurs, les disciples de ce que l’on appelle le petit véhicule, mais comme il a un sens péjoratif je dirais le Theravada ou véhicule des anciens, pour Dogen c’est l’enseignement et la pratique des quatre nobles vérités. C’est leur première forme d’expression du Dharma du Bouddha. Alors Dogen là-dessus est formel ; ceux qui pratiquent les quatre nobles vérités réalisent bien le Dharma du Bouddha et s’éveillent, réalisent le Nirvana, sans aucun doute.
Le deuxième aspect ce sont ceux que l’on appelle les « pratika bouddha » c’est à dire ceux qui s’éveillent à travers la compréhension de la vacuité et plus particulièrement sous sa forme des douze causes interdépendantes, les douze innen ; le deuxième grand volet de l’enseignement du Bouddha. Ceux qui étudient les douze innen, réalisent aussi l’éveil, ils étudient et pratiquent aussi les quatre nobles vérités.
Le troisième volet c’est la pratique des bodhisattva qui suivent les six paramitas et ces bodhisattva que nous devrions être puisque nous avons souvent reçu l’ordination de Bodhisattva et que nous avons fait les vœux de bodhisattva, nous accomplissons nos vœux grâce à la pratique des paramitas.
Ce sont autant de facettes finalement du Dharma du Bouddha et au fond si nous sommes ici c’est parce que d’une manière ou d’une autre nous étudions et pratiquons les quatre nobles vérités, nous nous efforçons de comprendre les douze causes interdépendantes et de nous éveiller à la compréhension de la vacuité et nous pratiquons les six paramitas comme l’expression de notre réalisation et, en même temps, une manière de l’approfondir et de l’actualiser plus profondément, pas seulement en zazen.
Pour la moitié d’entre vous ces notions des quatre nobles vérités, des douze innen, des six paramitas sont familières, y a-t-il certains d’entre vous pour qui ce n’est pas clair ?
Pour ceux qui savent déjà ce sera une révision, pour ceux qui ne savent pas ce sera l’occasion d’entrer en contact avec les enseignements.
J’ai essayé de les relier à la pratique de zazen et d’en parler dans l’esprit de l’enseignement de Maître Dogen qui m’inspire et de Maître Deshimaru qui le suivait et qui l’a transmis en Europe, c’est à dire autant d’enseignements qui sont issus du zazen et qui font le lien entre la pratique de zazen et la vie. On n’est pas toute la journée assis immobile en zazen mais on peut pratiquer dans tous les aspect de la vie quotidienne les quatre nobles vérités. Nous rencontrons constamment la souffrance autour de nous, nous l’éprouvons aussi nous-mêmes ; je ne vais pas faire une conférence sur les quatre nobles vérités mais je vais assez brièvement rappeler leur signification.
La première c’est la réalité universelle de la souffrance.
La deuxième c’est les causes de la souffrance.
La troisième c’est le fait que la souffrance peut cesser, qu’il y a une issue possible à la souffrance.
La quatrième c’est le chemin, l’octuple sentier.
S’il n’y avait pas ces quatre éléments, il n’y aurait sans doute pas le Dharma du Bouddha.
Par exemple : on dit dans la cosmologie bouddhiste que naître sous forme de déité c’est à dire dans un monde de béatitude constante, c’est une naissance défavorable. Parce que, n’étant pas en contact avec la réalité de la souffrance, bénéficiant d’une vie très longue, les déités vivent des milliers, voire des millions d’années, des millions de vies humaines, peuvent s’imaginer être éternels et être à tout jamais sauvés de la souffrance. D’ailleurs, ils ignorent même que la souffrance puisse exister, donc il n’y a aucune idée de compassion vis à vis des êtres qui souffrent puisqu’ils vivent en dehors empierrés dans leur monde de béatitude et donc c’est une naissance très défavorable. Par contre, le monde des animaux, des gakis, le monde des êtres constamment avides, le monde infernal, ne sont pas des mondes favorables à la réalisation du Dharma pour diverses raisons. Mais le monde humain, lui, est favorable à la réalisation du Dharma c’est à dire favorable à l’éveil parce que on a ce stimulant de la souffrance et surtout on est conscient (comparé aux animaux) de la souffrance, même si on a la chance d’avoir une vie relativement heureuse on subit la perte des gens qu’on aime, on constate la souffrance des autres et si on est normalement constitué, on a un minimum de sympathie pour la souffrance des autres, l’empathie, la compassion. Donc on souffre de la souffrance des autres, et puis on sait très bien qu’au fond notre propre bonheur, on le sent, est conditionné par un certain nombre de circonstances qui nous sont favorables et on sait très bien que ces circonstances ne vont pas durer et que donc notre bonheur ne peut pas être durable s’il est seulement lié à des causes ou des conditions éphémères. Si elles ne sont pas tout à fait éphémères elle ne sont pas éternelles.
A cause de cela on est stimulé à pratiquer et donc à laisser apparaître en nous bodaishin, l’esprit d’éveil. Pas seulement pour nous sauver nous-mêmes de ces souffrances mais comme
l’a réalisé Shakyamuni parce que on se sent solidaire de tous les êtres qui souffrent à travers la compassion qui est propre aux êtres humains (et même les animaux). Contrairement à ce qu’auraient pu dire certains, je pense que la compassion et l’empathie font partie de l’esprit humain, de notre nature de Bouddha. Notre pratique est fondée sur l’idée que tous les êtres ont la nature de l’éveil, cette capacité de s’éveiller. Donc la souffrance peut être transformée et c’est la raison pour laquelle elle est un stimulant et pas quelque chose de déprimant qui nous conduit à une attitude nihiliste.