Dans la tradition bouddhiste du Theravada (le petit véhicule), chacun des membres de cet octuple sentier sont séparés et au même niveau.
Dans la pratique du zen soto, qui est notre pratique, ce n’est pas tout à fait la même chose car on ne peut pas dire que nous considérons la méditation, le zenjo, le zazen, comme au même niveau que les autres. On considère que zazen est vraiment la source de toutes les autres voies de cet octuple sentier.
On pourrait se dire : « je veux être un bon bouddhiste » et pratiquer les sept membres de l’octuple sentier sans la méditation ; du point de vue du zen ce serait assez illusoire car sans cette alchimie du zazen qui permet vraiment d’intégrer le Dharma du Bouddha sous ses différentes facettes dans une pratique avec le corps et l’esprit unifiés, les autres aspects du Dharma risqueraient de rester un peu théoriques, un peu un idéal auquel on s’efforce d’arriver mais il manque la clé d’accès ; cette clé d’accès qui est la transformation intérieure délivrée par le zazen.
Donc nous ne considérons pas que les huit membres de l’octuple sentier sont au même niveau mais par contre ils sont tous reliés à zazen et ils sont tous interconnectés. D’ailleurs on ne peut pas valablement pratiquer zazen si on n’a pas une éthique juste.
Si on n’a pas une éthique juste on va créer du mauvais karma, ce mauvais karma va créer énormément de soucis, de tensions, de préoccupations dans notre vie et donc on va être très perturbé dans la pratique de la méditation et de la concentration, par exemple.
De la même manière si on veut agir moralement, si on veut suivre le Dharma en tant que règle morale et si on n’a pas fait le travail intérieur de transformation à travers la pratique de la méditation qui nous fait prendre conscience de la relativité et de la vacuité de notre ego, on risque d’être toujours centré sur notre ego et donc d’avoir énormément de mal à respecter les préceptes. Ce qui nous empêche de les respecter en général, c’est qu’on est trop attaché à son propre ego ; l’attachement à l’ego c’est ce qui fait qu’on enfreint tous les préceptes ; dans ce cas c’est une éthique du devoir.
Je crois que si à l’heure actuelle la morale a tellement mauvaise presse ; on aime bien le mot éthique à notre époque c’est à dire qu’on aime bien réfléchir au fondement de la morale mais la morale, elle-même, on ne l’aime pas trop, puisque la morale est basée sur des interdits, des empêchements de jouir et surtout cela dérange l’ego. Or on sent bien qu’il y des valeurs qui donnent un sens à la vie. Alors précisément la pratique de zazen est ce qui permet de retrouver en nous mêmes ce qui est le fondement même de toutes les valeurs morales. C’est à dire la réalisation de cette vie sans séparation d’avec les autres, la vie non duelle, non deux d’avec les autres, ce qui fait que si on se vit soi-même comme pas séparé et pas fondamentalement différent des autres, on ne peut plus, dans cet état d’empathie et d’unité avec les autres, vouloir les faire souffrir ou les faire souffrir à cause de notre propre égoïsme ; on peut donc accorder au moins autant d’importance aux autres qu’à soi-même, traiter l’autre comme soi-même, c’est ce qu’avait enseigné le Christ.
J’insiste beaucoup sur ce « comme soi-même » car on a souvent on a tendance à vouloir se sacrifier soi-même. Il y a cette notion de sacrifice avec laquelle je ne suis pas du tout d‘accord. Cette idée de se sacrifier soi-même pour les autres me paraît fausse parce que soi-même aussi on est concerné, on fait partie de tous les êtres vivants ; et à ce titre là on est comme les autres. Si on n’est pas capable de prendre soin de soi-même, on n’est pas capable de prendre soin des autres. Si on n’est pas capable de s’éveiller soi-même on ne peut pas guider les autres vers l’éveil. Si on ne se libère pas soi-même on ne peut pas guider les autres vers la libération.
Un exemple : voyez ces mères qui disent à leurs enfants : « j’ai tout fait pour toi, j’ai tout sacrifié pour toi ». Généralement ces enfants répondent : « je ne t‘ai jamais demandé ça ».
Ils envoient balader leur mère car ils n’aiment pas qu’on se sacrifie pour eux. Ils veulent avoir une mère heureuse et non pas une mère sacrifiée. Si on veut vraiment le bonheur des enfants on n’a qu’à commencer par soi-même et se montrer heureuse. Une mère heureuse peut être beaucoup plus aidante qu’une mère sacrifiée.
Je crois que pour le bodhisattva c’est pareil, le bodhisattva est un être d’éveil ; ce n’est pas un être qui sacrifie son éveil.Il renonce au nirvana pour lui-même, il renonce à s’échapper de ce monde pour le nirvana pour lui seul. Il renonce à quitter le navire parce qu’il y a des gens qui sont embarqués dedans mais, dans ce renoncement là, il réalise une profonde libération de tous ses attachements égotiques et il réalise le nirvana vivant ici et maintenant. Il ne faut pas imaginer un bodhisattva comme un être sacrifié. Un bodhisattva est un être vraiment éveillé et qui en témoigne constamment.
Les douze Innen
Le deuxième aspect du Dharma du Bouddha dans l’expression de son éveil, c’est les douze causes d’interdépendance. Les douze innen, les douze causes d’interdépendance, c’est l’autre versant de l’éveil de Bouddha.
Même dans les soutras du Theravada, on décrit l’éveil du Bouddha, soit comme l’éveil aux quatre nobles vérités, après avoir réalisé par le truchement des douze innen, le fait que tous les êtres renaissent dans les différents mondes des renaissances en fonction de leur karma. C’était la première prise de conscience du Bouddha. Puis, durant la même nuit, son éveil s’est traduit sous forme de l’expression des quatre nobles vérités et ensuite par les douze causes interdépendantes.