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Par Claude Emon Cannizzo
Au sein du Bouddhisme il est souvent question de « réincarnation » en relation avec le samsara. Mais pour éviter une confusion, j’appellerai ce cycle plutôt « renaissance » car par réincarnation beaucoup de gens pensent que c’est un « moi » en tant « qu’eux même », un « ego » qui renaîtrait, sous une nouvelle forme humaine.
Mais fondamentalement le plus important n’est pas de se préoccuper de savoir si nous avons déjà vécu avant ou allons renaître après la mort, car ce besoin relève de la peur de la mort qui est la racine de toutes les peurs. Ce sont des hypothèses qui ne sont pas très importantes et dans le zen on n’en parle pas beaucoup, sans pour autant les rejeter. Le Bouddha en a parlé parce qu’il en a fait l’expérience lors de son éveil et qu’il a compris l’enchaînement des causes et conditions des renaissances (innen). Ainsi il a pu rendre les gens attentifs et responsables quant aux effets de leurs actes, paroles et pensées qui laissent des traces et causent leurs conditions de renaissance.
Ce qui en revanche mériterait notre attention, serait de savoir, une fois debout le matin, comment vivre la journée dans le respect des enseignements de la voie du zen. Pour la plupart des humains la journée est remplie de devoirs, familiaux, professionnels… Et pour le temps qu’il reste, ils essayent de se distraire en cherchant des occupations, des moments de loisirs, si leur condition leur permet. En même temps, d’autres personnes, dans d’autres endroits du monde sont constamment affligées par des peines, des maladies, des guerres ou d’autres troubles encore. Dans tous les cas, nous cherchons le plaisir et tentons de mettre tout en œuvre pour y parvenir, et lorsque nous éprouvons des difficultés, nous allons tenter de faire l’effort nécessaire en place pour essayer de nous en sortir.
Nous passons en une vie à travers différentes couches d’existences. Nous avons des moments de plaisir, de souffrance, physique ou morale, des moments de tranquillité… Dans la vie, nous passons du paradis à l’enfer, ou de l’enfer au paradis. Nous pouvons également faire cette expérience lors d’un zazen, parfois il est tranquille, parfois agité, nous passons d’un état à un autre. Ce sont des cycles, comme le samsara dans ce que l’on appelle les « six mondes ». (Kāmaloka. La roue de la vie, le Samsara. Les mondes des renaissances, en fonction de notre karma. Thème qui sera abordé une autre fois.)
Le terme « samsara » désigne aussi en quelque sorte la notion de cycle qui s’applique à tous les phénomènes de notre existence au quotidien. Pour mieux comprendre cette idée de cycle de transformation, prenons par exemple une tasse de thé. Lorsqu’une tasse pleine de thé tombe par terre, le thé se répand au sol, vous prenez une éponge pour récupérer le thé. Le thé est passé de la tasse à l’éponge, c’est un cycle, le thé passe de l’éponge à l‘évier ou ailleurs etc. Idem pour la tasse, elle est passée d’une forme à une autre, de la tasse au débris, c’est un cycle. On peut aussi prendre le bruit de la chute de la tasse, il y a le bruit, produit par la fracture, le bruit apparaît, dure un certain temps puis disparaît, là encore c’est un cycle…
Il y a des cycles plus longs, par exemple lorsque nous avons une migraine, elle peut durer quelques minutes ou quelques heures. Il y a des cycles extrêmement courts, comme par exemple celui de la paupière qui cligne. Bouddha dit à ce propos :
« Durant le temps mis par la paupière pour cligner, il y a eu plusieurs millions de moments de conscience qui se sont succédés ».
Et bien sûr, le cycle de la vie, la naissance, la vieillesse et la mort dans lequel nous vivons ici et maintenant, avec son lot de cycles successifs qui naissent et meurent à chaque instant. Des cycles se produisent et se reproduisent sans cesse.
On voudrait ne plus penser, mais des pensées reviennent, le cycle des pensées qui naissent et meurent sans cesse. On voudrait le silence et la tranquillité, mais il y a encore des choses qui nous dérangent, le cycle de nos désirs qui ne se réalisent pas. On voudrait vivre éternellement mais il y a la vieillesse la maladie et la mort, le cycle de la vie ou des vies …
C’est le samsara, et sa production principale qui est dukkha, pas seulement parce qu’il y a des phénomènes douloureux, mais aussi parce qu’il y a des phénomènes plaisants.
Ce deuxième aspect nécessite quelques éclaircissements. Pourquoi les phénomènes plaisants pourraient-ils générer de la souffrance ? Nous sommes tous d’accord pour admettre que nous sommes heureux lorsqu’une douleur ou situation pénible cesse. Mais l’incompréhension surgit lorsqu’il s’agit d’accepter que ce qui est plaisant soit également une source de souffrance. Pour comprendre cela, nous devons clarifier le sujet de « la saisie et du rejet », autrement dit de la dualité. Le « je veux » et le « je ne veux pas » ou le « j’aime », ou le « je n’aime pas. » Nous touchons là le « saisir l’agréable, et rejeter le désagréable. »
Évidemment nous choisissons tous l’agréable. Les phénomènes plaisants apparaissent parce que nous avons essayé de les faire apparaître, pour justement nous détourner de la peine et de la misère du quotidien. C’est en cela qu’ils sont aussi peine et douleur.
La souffrance concernant ce qui est plaisant ne réside pas dans le fait que nous la choisissions, mais dans l’attachement qui naît et qui nous lie à notre choix.
La grande question au sujet de l’attachement et l’impermanence… Car comme tout ce qui apparaît dans cette vie que ce soit de notre fait ou non, est voué à disparaître. Ceci n’est que la réalité fondamentale de toute existence. Tout est impermanent. Donc le plaisant, le plaisir, également. Le déplaisant, lorsqu’il cesse ça nous arrange, mais concernant ce qui est plaisant, s’il disparaît, cela entrainera naturellement la souffrance, le manque et la douleur générée par sa perte et l’attachement lié à ce que nous vivions comme plaisant.
Le point de vu de la réalité de l’impermanence n’est pas un point de vu pessimiste. (Par ailleurs, dans le zen il n’y a pas d’optimisme ou de pessimisme, mais simplement le réalisme, les choses telles qu’elles sont.) Donc, la réalité du « tout est impermanent » est au contraire une invitation à vivre chaque instant à sa juste mesure. Vivre sa vie en pleine présence en lui accordant toute notre attention parce que justement, elle est impermanente. Ce faisant nous n’aurons pas à regretter de ne pas avoir su vivre pleinement ce qui aurait dû l’être pour quelque raison que soit, par manque de présence, de temps ou d’attention… Et devoir ainsi vivre avec des regrets et son cortège souffrance.
Quel que soit le cas de figure, dans notre vie quotidienne, dans chacun des moments que nous traversons, nous produisons celui qui va venir, d’une certaine façon, nous fabriquons notre avenir. Ce fonctionnement est par ailleurs le sujet même de causes à effets qu’on appelle le karma, et c’est inévitable, même si on dit que zazen coupe le karma, on ne peut pas se soustraire du karma. (Notez bien que, karma n’a rien à voir avec le destin.)
Si nous comprenons ça, ce qui devient la chose la plus importante, c’est de se concentrer sur ce qui se passe aujourd’hui, ici, maintenant. Ne pas fuir l’instant présent, être totalement dans ce qui doit être fait, jusqu’au bout, « zanshin » ainsi ce qui est terminé est bel et bien terminé. Même si ce que nous avons à faire est difficile, si nous devons le faire il faut le faire jusqu’au bout. Même si aujourd’hui nous sommes en train de construire les conditions à venir, ce qui n’est pas encore arrivé n’existe pas. Toutes fois, tenant compte de ce que nos actes et paroles risquent de générer, il est préférable que ceux-ci soient en cohérence avec le Dharma, l’Octuple Sentier, les préceptes ou les paramita…
Pratiquer zazen c’est nous enraciner dans le Dharma de Bouddha, sans peurs. Si nous avons eu la chance de pratiquer la voie de la libération aujourd’hui, ici et maintenant, c’est que nous y avons sans doute contribué au fil de nos cycles de renaissances.