Quitter sa demeure

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Par Konrad Kosan Maquestieau

Qu’est-ce que “Ango” ?

Le mot japonais “ango” veut dire “demeurer dans la tranquilité”: 安 an = paix 居 go = demeurer. Néanmoins cette paix n’est pas toujours ce que l’on présuppose être.

Il existe plusieurs formes d’ango : au Japon, traditionnellement il s’agit d’une période de trois mois où les jeunes moines se retirent du monde pour suivre une formation qui fera d’eux des futurs responsables de temples. En Europe, au sein de l’AZI maître Deshimaru a introduit l’ango sous la forme que nous connaissons encore aujourd’hui des neuf semaines de pratique intensive (divisée en six session) durant les mois d’été à la Gendronnière. Récemment les temples Ruymonji et Kanshoji ont commencé à organiser des angos dont la période s’étend de un à trois mois et qui sont plus ou moins calqués sur la forme japonaise. Un ango d’une semaine est prévu à La Gendronnière en 2013.

Le principal à chaque fois est le fait que l’on quitte complètement sa vie de famille, sa vie sociale, son travail mais aussi tous les liens qui nous attachent à notre train-train de la vie quotidienne, à notre façon de faire, à notre organisation, à nos habitudes, à notre karma. Déjà à son époque Bouddha avait introduit cette période de retraite lors de la mousson où les routes devenaient impraticables pour voyager: il se retirait avec ses disciples dans la forêt, arrêtait ses périples, arrêtait de mendier sa nourriture et d’enseigner auprès des gens des villages et des villes. Là, loin du monde et de ses agitations, ses disciples se rassemblaient autour de lui pour approffondir son enseignement, apprendre par coeur les soutras, pratiquer le zazen, le samu et vivre en communauté.

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La forme japonaise a poussé à l’extrême cet aspect: chez eux toute la vie quotidienne de l’ango se déroule en communauté. L’espace personnel est réduit au maximum: le moine fait zazen, mange et dort sur ses 2m² de tatami dans l’espace appelé “Sodo”. Dans le “Shuryo”, un espace commun séparé du Sodo, les pratiquant entrepose leurs quelques affaires personnelles et s’y retirent pour étudier. La journée est grosso modo organisée en temps de zazen (matin et soir), de samu, des repas, des répétitions des cérémonies et l’apprentissage de toutes les fonctions du temple. De ce fait le temps personnel est également limité au maximum: environ une heure chaque après-midi.

Cela a été pour moi l’aspect le plus révélateur de mon expérience de l’ango. A ma surprise cela n’a pas été le plus “difficile”. Le fait de vivre ensemble tous les aspects de la vie (même les quotidiens bains chaud du soir sont pris en commun): faire zazen, manger, apprendre, étudier, se reposer, toutes ces “activités de la voie” font que “inconsciemment, naturellement et automatiquement” l’harmonie, la paix de l’esprit, se créait entre nous. Aucun effort n’était nécessaire à cela: seulement suivre les autres, suivre les sons, suivre l’enseignement des godo, suivre les cérémonies, suivre le zazen…. suivre, suivre, suivre… l’ordre cosmique. Il n’y a que ça. Mais quelle force libératrice d’éveil se dégage de cette expérience !

Qu’elle est la différence avec nos sesshin ?

Presque rien ! Je n’ai rien appris, je n’ai rien pratiqué que je ne connaissais pas déjà auparavant dans nos sesshin. Bien sûr la façon de faire est différente: d’autres aliments, d’autre coutumes, d’autres espaces, d’autres formes dans les cérémonies, d’autres visages, d’autres langues… Mais là n’est pas l’essentiel. Ce que Maître Deshimaru et après lui Roland Yuno Rech nous ont appris est véritablement la pratique complète. Il n’est pas nécessaire d’aller au Japon pour découvrir ça.

La seule différence est la longueur de la période et le fait que réellement nous sommes loin de notre demeure. Dogen dans le chapitre “Shobogenzo ango” parle de ango comme d’une façon de “rencontrer les bouddhas et les patriarches”. Cela n’est possible que que si l’on quitte véritablement sa maison. On ne peut les rencontrer à l’intérieur de notre cocon égotique; il faut littéralement sortir de là.

Et c’est dans cette sortie que se trouve “la paix” dans laquelle il est possible de demeurer.