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Entretien avec Beppe Mokuza Signoritti
Depuis plus de trente ans, le moine zen et maître de sumi-e italien Beppe Mokuza Signoritti se consacre à la peinture à l’encre japonaise et à la méditation zen. Il organise des expositions, des ateliers, des conférences et des démonstrations dans toute l’Europe. Il est le fondateur de l’Ecole Internationale de Sumi-e à Versailles, qui offre la possibilité de se former professionnellement à l’enseignement du sumi-e.
Qu’est-ce que le sumi-e ?
Le terme japonais « sumi » signifie encre noire, « e » signifie peinture. Les sujets sont peints à l’encre noire, en dégradés variant du noir pur à toutes les nuances que l’on peut obtenir en la diluant avec de l’eau.
Cette méthode de peinture a été introduite au Japon par des moines zen, il y a plus de cinq siècles, et il s’agit en réalité bien plus que d’une simple technique de peinture. Dans le sumi-e, la réalité est rendue à la pure simplicité. Qu’il s’agisse d’un bambou, d’une orchidée ou d’une branche de prunier en fleur, le spectateur est touché par la spontanéité et la vivacité qui se dégagent de l’œuvre.
En fait, les peintures sumi-e sont des croquis en noir et blanc, la page blanche représentant l’Univers et l’encre noire représentant les formes matérielles qui apparaissent et disparaissent constamment dans l’Univers. Le sumi-e respecte et suit les règles de la nature, dans la composition, la façon dont les feuilles se déploient d’une branche, le tout créé en harmonie. Dans la nature, tout naît spontanément en suivant des schémas réguliers. Le peintre se soumet à cette expression spontanée et simple de la créativité. C’est le paradoxe même du sumi-e vif. Ce n’est pas le peintre, mais la vie qui se crée. Nous, peintres, transmettons simplement cette énergie vitale de la vie.
Qui peut pratiquer le sumi-e ?
Tout un chacun. Nous sommes tous touchés par la beauté et l’harmonie. Cependant, le sumi-e attire surtout les personnes ayant une plus grande sensibilité et réceptivité spirituelles. Ils se renseignent et sont enclins également à organiser des stages ou autres activités en lien avec le sumi-e.
Cette méthode de peinture japonaise peut être pratiquée comme une forme d’art, sans méditation zen. Cependant, le sumi-e diffère considérablement de l’art occidental, dans lequel un coup de pinceau peut être peint par-dessus le précédent, une œuvre peut être préconçue dans des croquis, où une couche de peinture est apposée sur l’autre, ce qui est une technique courante. Des corrections et des retouches peuvent être apportées afin d’harmoniser la composition. Dans le sumi-e, c’est impossible. Un seul coup de pinceau instantané et spontané est permis. Si ce trait n’est pas réussi, le travail doit être jeté.
Sumi-e et la relation au Zen
Lorsque vous pratiquez le sumi-e avec concentration, la méditation zen se produit presque d’elle-même. Mon professeur, le maître zen Roland Yuno Rech, a dit un jour: « Le sumi-e est une Voie qui laisse des traces sur le papier tandis que la Voie du zen ne laisse aucune trace visible ». Tout dans le zen et le sumi-e vise à nous amener à être présent là où nous sommes, l’esprit toujours en unité avec le corps, coïncidant avec l’action présente ou l’objet sur lequel nous nous concentrons.
Le sumi-e peut être considéré comme une expression de la méditation zen, où le correct maniement du pinceau est un moyen habile pour exercer notre concentration. Il en est de même avec un couteau lors de la coupe de légumes ou lorsque l’on cuisine.
Quels sont les bienfaits de cette pratique ?
Grâce au sumi-e, il est possible d’expérimenter, de retrouver la clarté et la stabilité de l’esprit, qui n’est alors plus perturbé par les influences extérieures. Ce n’est pas une question de technique ou d’être un peintre talentueux. C’est l’art de redécouvrir la force mentale profonde, notre nature de Bouddha, les choses que nous avons en commun avec toutes les créatures vivantes. L’esprit, le corps et l’objet peint deviennent vraiment UN.
Un coup de pinceau, exécuté avec la plus grande concentration, peut invoquer une grande beauté, s’adressant à tous. C’est un moyen habile d’indiquer un chemin vers l’éveil spirituel, un chemin qui finalement coïncide avec l’expérience elle-même. Pour finir, vous vous sentirez mieux, plus réceptif, présent et conscient. Vous pourrez entrer en contact avec cette partie de vous-même qui est enfouie sous nos émotions et nos pensées, le moi impersonnel.
Quel est le rôle de l’enseignant ?
L’enseignant guide l’élève au-delà de ses obstacles, de ses émotions, de ses pensées. L’enseignant aide l’élève à exprimer ce qui ne peut être expliqué par des mots. Cela nécessite un esprit libre de toutes pensées ou émotions. Obtenir un tel état d’esprit demande beaucoup d’exercices, et la répétition maintes et maintes fois d’un sujet tel que les feuilles ou les tiges du bambou est nécessaire pour apprendre et pour affiner l’esprit. Ce faisant, on découvre cette part de soi dont je parlais précédemment.
Ce processus est impossible sans enseignant, car personne ne peut voir son propre angle mort. L’élève répète le modèle, l’enseignant corrige l’élève encore et encore, en soulignant les améliorations. C’est un processus délicat. Selon moi, c’est un chemin que l’élève doit parcourir jusqu’à ce qu’il comprenne vraiment le modèle.
Une fois les modèles intériorisés, tout peut être peint. Et en peignant, on devient de plus en plus attentif. Cela peut apporter l’harmonie dans la vie et cela permet de puiser à la source de la vie elle-même, une source présente en chacun de nous.