Par Jean Loup Le Gallo, Toulouse
En zazen nous sommes face au mur, face à soi-même, dans le surf c’est un peu la même situation vous êtes face à l’océan, face à vous-même.
En zazen on observe nos tensions corporelles, les pensées, par la simple observation les tensions s’apaisent, les pensées deviennent plus fluides. Au début et même pendant des années de pratique, on agit en mettant de la volonté et puis par moment on laisse agir.
Il se passe à peu près la même chose dans la pratique du surf. Assis à califourchon sur le surfboard on laisse la respiration profonde s’installer afin de récupérer de l’effort qui a été nécessaire pour arriver au “line-up”, l’endroit où les vagues qui peuvent être surfées, se forment. On observe les séries de vagues qui se présentent il faut être vigilant car des vagues ouvrent d’autres ferment. Lorsque les séries arrivent, on agit par moment par la réflexion, d’autres fois par le résultat de l’expérience, l’agir se fait automatiquement, agir sans agir.
Si on a manqué de vigilance, la vague qui s’abat sur soi vous ramène à la réalité, comme un coup de kyosaku donné sans ego.
Dans le zazen par moment on se trouve face au vide et face à la plongée dans celui-ci. Dans le surf l’appel du vide (take off), ce moment où l’on décide de cette plongée dans le vide, cette action est déterminante pour la suite de l’évolution sur la vague. C’est un vide “actif”, si on a pris la décision d’y aller, il ne faut pas la refuser car la sanction peut être dangereuse. Avant de s’engager dans la vague il faut faire attention à ne gêner personne et si une personne est prioritaire, il faut se retirer. Pendant ces petites secondes il est impératif d’avoir un regard d’ensemble. A ce moment-là, beaucoup de phénomènes peuvent intervenir. Faire avec son ego et l’ego de l’Autre, et également avec le déferlement de la vague. En effet tout le monde regarde un même point, ce point qui est le moteur, le déclencheur du “Ride” (évolution sur la vague). Il faut savoir se mettre à la place juste (“right time right place”) tout en respectant les autres surfers. Pas évident, les egos sont forts, certains essayent de “voler” la priorité, d’autres se placent face à vous pour vous empêcher de partir, d’autres ne bougent pas (font le bouchon), ce qui est très dangereux. Il faut toujours être vigilant, se déplacer pour ne pas gêner le surfer prioritaire et éviter un accident ou une dispute. Zazen est une posture non figée, on bouge imperceptiblement, une “douce” vigilance est de mise. Dans la pratique du surf également il est indispensable de ne pas être “figé”.
Il arrive que l’on ait pas vu venir la vague qui se refermait d’un coup ou bien que l’on ait fait une erreur de placement, alors c’est la chute “effet wash machine” (la machine à laver), nous sommes brassés dans tous les sens et la meilleure solution c’est lâcher prise, se laisser malmener en attendant que la série passe. Dans cette situation bien sûr il ne faut pas paniquer, car on brûle beaucoup d’énergie, d’oxygène à vouloir lutter contre la force océanique. On retrouve la pratique de zazen, calme, même si la respiration profonde aide dans ce moment-là, bien sûr c’est bouche fermée pour quelques secondes.
Humilité, exister tout en s’effaçant devant la force de l’océan, je vois, j’écoute l’enseignement que l’océan envoie, un enseignement sans paroles.
La vague est insaisissable, à la fois sans noumène et nouménale. Aller avec et non contre. Agir dans l’abandon, s’abandonner corps-esprit. A l’instar de zazen, le surf me renseigne sur ma nature profonde, à mon insu et c’est tant mieux. Apprendre et puis “déprendre”. Alors comme le geste du calligraphe, celui du maître du thé ou l’amour sensuel sans suite, tout devient instant présent.
Comme les embruns de la vague qui déferle nous ramène à l’instant présent, le vent frais du Dharma rafraîchit notre karma.
La vie est liée à l’impermanence, évoluer sur la face de la vague, c’est faire “un” avec l’ordre cosmique, Dharma : naissance, déroulement, fin…
Ce que je ressens et perçois c’est qu’en surf me connecter à l’instant présent est une évidence. Au moment où allongé sur ma planche, je commence à ramer, automatiquement je suis connecté avec ” l’ici et maintenant “, aucune pensées en trop, simplement là !
Dans la pratique de zazen, au début je fais un effort pour me concentrer sur la posture, la respiration, sur les pensées. Puis, les pensées vont et viennent et se fluidifient.
Grâce à la pratique de zazen on s’aperçoit des errances de l’ego sans les nier. Ainsi, lorsque j’ai surfé une longue vague, je ressens une joie intense, même s’il y a eu des phénomènes avant, ils ont participé au déclenchement de la colère, des images violentes envers un autre surfer surgissent. Le temps de remonter au “line-up” en marchant le long de la plage, permet d’observer cette colère et la laisser passer, cette observation permet d’envoyer des pensées de compassion envers cet autre qui a déclenché cette colère : “Assis au somment de la montagne”.
Et puis cette phrase de Shimano Roshi, qui résonne à mes oreilles comme un mantra :
“Notre vie est comparable à une onde de Dharma, de Karma, essayons de nous comporter dessus comme si nous étions sur un surfboard !“
Gratitude envers la pratique de zazen qui permet d’ouvrir le champ de la conscience.