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Par Jean-Pierre Romain, responsable du dojo de Paris-Tolbiac
Lors des réunions qui ont lieu durant les sesshin, les enseignants et responsables de dojos évoquent régulièrement les difficultés des groupes qui s’étiolent et sont malheureusement parfois amenés à fermer. Les raisons invoquées sont le plus souvent d’ordre matériel, dues à l’épidémie de Covid 19 ou autre… Il peut être fructueux de lire les enseignements du Bouddha sur les « facteurs de non-décadence » de la sangha.
L’un des derniers sermons énoncé par le Bouddha se trouve dans le Mahā-Parinibbhāna-sutta (ou Mahā-Parinirvāna-sutra). Il porte sur ce que l’on a appelé « les sept conditions de non-déchéance » ou « de non-décadence » de la sangha. Qu’est-ce qui fait que la communauté des moines – et plus largement des pratiquants – peut disparaître ou au contraire être pérenne ?
La première condition de non-décadence énoncée par le Bouddha est que les moines se réunissent, et aussi souvent que possible. C’est ce que nous faisons en pratiquant zazen en commun, bien sûr chacun selon ses possibilités.
La deuxième condition, nous dit le Bouddha, est de « Se réunir en concorde, se disperser en concorde, et effectuer les travaux de la communauté en concorde ». Ce dernier point fait référence à l’importance du samu, non seulement pour effectuer un travail mais aussi pour souder les pratiquants. La concorde et la bonne entente sont évidemment indispensables. Il arrive que les rapports au sein d’un groupe spirituel – et dans tout groupe d’ailleurs – soient difficiles. Nous avons la même pratique mais avec parfois des idées, des visions différentes. Nous pouvons avoir au sein d’un même dojo plusieurs enseignants de caractère différent, qui enseignent différemment. Nous devons néanmoins fonctionner harmonieusement ensemble, faire des efforts dans ce sens, éviter l’émergence de séparations.
La troisième condition de non-décadence est de « Ne pas établir des règles disciplinaires qui n’ont pas été établies, et ne pas transgresser des règles disciplinaires qui ont été établies ». En résumé, il s’agit de suivre les règles établies mais sans en créer de nouvelles. Les moines à l’époque du Bouddha devaient suivre déjà beaucoup de règles, mais généralement ces règles apparaissaient à la suite d’une erreur de comportement. Même à notre époque on a tendance à instaurer des normes : par exemple certains pratiquants soutiennent qu’on ne devrait pas manger de viande ou boire de vin dans un centre zen…
Le quatrième point est de « Vénérer, respecter et rendre hommage aux anciens et codirigeants de la communauté. » Le respect des anciens est primordial, même quand parfois ils font des erreurs – comme il arrive à tout le monde d’en faire.
Le Bouddha parle encore de « ne pas se laisser dominer par la soif d’existence », cette soif qui, selon son enseignement, entraîne la transmigration. Il est évident que si des moines se laissent dominer par leurs désirs, à la fin ils ne se comporteront plus comme des moines. C’est le cinquième point de l’enseignement de base du Bouddha sur la soif d’existence qui nous lie au samsara, à la transmigration.
En sixième point, le Bouddha parle ensuite de « se contenter de vivre dans la forêt ». À une époque où la plupart des pratiquants vivent dans des villes, l’idée en ce qui nous concerne pourrait être de se contenter de ce que l’on a, de mener une vie simple, sans rechercher le superflu.
Enfin le septième point énoncé par le Bouddha comme condition de non-décadence de la sangha, est de « Tenter de vivre avec attention et maîtrise de la pensée ». Ces directives concernent l’esprit, elles sont donc liées au zazen que nous pratiquons. Le Bienheureux dit : « Aussi longtemps, ô moines, que les moines développeront le facteur d’éveil dit “attention”… Aussi longtemps qu’ils développeront le facteur d’éveil dit “analyse des choses”… Aussi longtemps qu’ils développeront le facteur d’éveil dit “effort”… Aussi longtemps qu’ils développeront le facteur d’éveil dit “joie”… » Et il cite encore : la sérénité, la concentration mentale et l’équanimité… « les moines connaîtront le progrès et non la décadence. »
Ces sept facteurs sont donc : l’attention, l’analyse des choses, l’effort, la joie, la sérénité, la concentration et l’équanimité. On peut dire bien sûr qu’ils découlent de la pratique de zazen.
En fait le Bouddha ne s’arrête pas là, il cite encore beaucoup d’autres facteurs de non-décadence de la sangha. Il évoque sept perceptions : perception de l’impermanence, perception du non-soi, perception de l’impureté, du danger, de l’abandon. Et perception du non-attachement et de la cessation. Toutes ces perceptions peuvent être réalisées en zazen.
Mais à la fin le Bouddha parle encore du comportement : comportement en public, en privé, au sein de la communauté ; comportement par le corps, par la parole, par les actions mentales. Il parle à ce sujet de bienveillance. On peut noter que le Bouddha ne sépare pas l’état d’esprit et le comportement. Il ne dit pas : « Ayez un état d’esprit juste et votre comportement sera juste », ce qui serait de l’idéalisme. Et il ne dit pas non plus : « Comportez-vous correctement, de manière éthique, et un état d’esprit juste en découlera », ce qui s’apparenterait au moralisme. Le Bouddha nous invite donc à ne pas séparer l’état d’esprit du comportement, de l’action. De même que, dans la pratique de zazen, la posture et l’état d’esprit ne sont absolument pas séparés.