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« Modifier la culture de changement social »
Par Bart Weetjens
Bart Weetjens sait que les conflits non résolus démarrent intérieurement. Après avoir travaillé pendant 20 ans à son magnifique projet pour débarrasser des pays des mines anti-personnel après la guerre, il s’est presque trouvé en état de burnout. Pour pouvoir continuer, il s’est impliqué dans un nouveau projet pour le changement social. Une chose qu’il a apprise est que la prévention des conflits est aussi « un travail à faire à l’intérieur ».
Après 20 ans de travail, j’étais proche du burnout. Je me souviens comme si c’était hier de la façon dont mon travail a commencé en octobre 1995. J’avais voyagé au Mozambique et en Angola et j’avais été profondément impressionné par le fait qu’après-guerre, des communautés vivaient dans les anciennes zones de conflits tout en restant terrorisées à cause des mines anti-personnel. Presque tous les gens de ces communautés étaient des fermiers qui n’avaient plus accès à leurs villages et à leurs fermes. Ils vivaient donc, génération après génération, dans la pauvreté dans des taudis autour des plus grandes villes, sans aucun espoir de pouvoir renverser la situation.
Fâché de cette injustice
Donc j’étais fâché, TRÈS fâché de cette injustice. Aujourd’hui, je sais que cette colère ou ce sens de l’injustice sont en réalité les graines tellement nécessaires qui mènent à un engagement pour la justice sociale et pour un monde plus en paix. Je me suis mis mentalement dans la situation de ces gens et me suis demandé ce que je ferais à leur place. Que pouvais-je faire pour débarrasser ma terre des mines anti-personnel et vivre sans cette peur ? J’ai été formé comme « product designer » et j’ai donc regardé les ressources disponibles. Bien que je n’aie trouvé presque aucune ressource matérielle à disposition, j’ai finalement trouvé une solution très naturelle : les rats.
Des rats à sauver des vies humaines
Alors que la plupart des personnes voient les rats comme des nuisibles, j’avais avec eux une longue histoire, un amour profond et une affection pour toutes sortes de petits rongeurs : les hamsters, les souris, les écureuils et bien sûr, les rats! Je connaissais de leur excellent odorat et leur intelligence, leur facilité d’apprendre et leurs compétences logistiques. J’ai donc fait le projet de commencer à apprendre à des rats à sauver des vies humaines en détectant les mines anti-personnel. Aujourd’hui, avec l’aide de beaucoup d’amis et de partenaires, plus de 103.000 mines ont été détectées par des rats dans des pays comme le Mozambique, l’Angola, la Thaïlande et le Cambodge. Grâce au personnel de notre projet APOPO, 26 millions de mètres carrés de terrain sont à nouveau disponibles pour les communautés locales, pour construire leurs maisons et vivre sans peur. Ceci a changé fondamentalement la vie d’environ un million de fermiers qui ont pu retourner à la maison et vivre en paix.
Mais bien que l’on ait déclaré le Mozambique comme entièrement nettoyée des mines anti-personnel en 2015, je me suis trouvé moi-même dans des problèmes …
Se noyer dans l’empathie
Mon parcours d’engagement social, ma vie au service d’un bien supérieur m’a montré le risque réel de se perdre, se noyer dans l’empathie pour une cause particulière. Je remarque aussi ce symptôme chez beaucoup d’autres personnes qui travaillent pour la paix et la justice sociale. Nous devons comprendre que si nous laissons la cause nous dévorer, nous manquerons de la force et de l’équanimité nécessaires pour mener à bien cette cause à long terme et avec efficacité. Cela peut mener à l’épuisement, la dépression, les addictions ou toutes sortes d’états mentaux négatifs. Quand je me suis rendu compte que j’étais sur le point de tomber en burnout, j’ai cédé la responsabilité managériale de mon projet pour me reconcentrer sur moi-même. Me réinventer. « Qui est Bart sans les rats ? »
Le fait de bien fonctionner dans la société est basé sur un bien-être intérieur
Par le réseau Ashoka, un réseau d’entrepreneurs sociaux qui avaient soutenu mon travail, j’ai eu un contact avec un autre membre d’Ashoka, Aaron Pereira, qui travaille sur le bien-être personnel avec des entrepreneurs sociaux. Son idée est que le fait de bien fonctionner dans la société est basé sur un bien-être intérieur.
Je suis allé le voir à Paris par une belle journée de printemps de 2015 et son projet m’a profondément touché. Il est conçu pour fournir une assistance au développement personnel à des entrepreneurs sociaux expérimentés. Comme Aaron, j’ai reconnu que le bien-être intérieur est vraiment la question la plus importante que nous devons régler pour pouvoir mener des vies heureuses et efficaces, et que tout que nous faisons dans le monde extérieur est d’une certaine façon un reflet de notre état d’esprit. Je lui ai donc proposé de collaborer avec lui et de l’aider dans ce projet. Depuis ce jour, Aaron et moi sommes collègues.
Le Projet Bien-être est non seulement concentré sur une assistance aux leaders de projets de changements sociaux, mais il a aussi pour but de déplacer la culture de changement social basée sur « l’idéal du héros/martyr » vers une notion plus saine de bien-être intérieur; il cherche à cultiver une sorte de prévention au niveau personnel qui sert en fin de compte toute la société.
Assistance basée sur les besoins individuels
Le travail du Projet Bien-être repose sur quatre piliers principaux : Tout d’abord, le Programme de Développement Intérieur. Ce programme soutient des entrepreneurs sociaux expérimentés dans la recherche d’un sentiment plus profond de bien-être, via des programmes personnalisés. Il consiste en trois retraites sur une durée d’un an et demi et fournit une assistance basée sur les besoins individuels de chacun.
Deuxièmement, la recherche et l’évaluation, qui fournissent les données nécessaires pour atteindre le but : changer la culture. Dans une recherche longitudinale sur la relation entre le travail intérieur et la qualité de ce changement social, des données ont été rigoureusement rassemblées auprès de 60 entrepreneurs sociaux qui ont participé au programme de Développement Intérieur.
Troisièmement, se former et se rencontrer. Ce pilier réunit des leaders mondiaux et régionaux dans le domaine du changement social. Ils peuvent consulter et étudier les recherches, travailler ensemble à changer de la culture et explorer une nouvelle infrastructure d’assistance à ceux qui travaillent dans le domaine de l’innovation sociale.
Et enfin, « last, but certainly not least », la collecte et le partage d’histoires personnelles d’entrepreneurs sociaux, et de l’impact de leur travail sur leurs vies personnelles et professionnelles.
Le Projet Bien-être est un projet collaboratif dirigé et exécuté par 4 institutions partenaires : Ashoka, l’Institut Fetzer, Esalen et l’Institut Synergos. Très rapidement, le Projet Bien-être est devenu une communauté mondiale de personnes et d’institutions, tous ayant pour but d’apporter soin et compassion aux merveilleuses personnes qui travaillent pour construire un monde meilleur, et aussi de soutenir les nombreuses causes et mouvements pour lesquels ils travaillent.
Transformer cette spirale conduisant vers l’épuisement
Les entrepreneurs sociaux qui participent au programme en reçoivent un retour fort au plan personnel : ils sont témoins de profonds changements dans leur façon d’approcher leur équilibre vie professionnelle / vie privée. Certains se rendent compte qu’ils mettent toujours leur travail en premier, leur famille ensuite et seulement enfin leurs besoins personnels. Le Projet Bien-être les aide à transformer cette spirale conduisant vers l’épuisement et le « burn-out » en une démarche vers le « burn-on », en développant leur perspicacité et en leur faisant comprendre qu’ils ne peuvent continuer à agir efficacement que s’ils travaillent à partir d’un état de bien-être personnel.
La chance d’avoir rencontré la pratique de zazen
Dans mon cas, j’ai eu la chance d’avoir rencontré la pratique de zazen, une forme de méditation assise. Cette pratique a été pour moi un chemin très efficace vers une compréhension plus profonde et vers l’auto-acceptation. Je pense que la méditation ou la pratique de la pleine conscience sont même plus efficaces quand elles sont combinées avec un certain type de « coaching » ou de thérapie: c’est-à-dire tout type de conversation formelle ou informelle confidentielle avec une personne expérimentée. Ensemble, la pleine conscience et le « coaching » ont un énorme pouvoir de transformation, pour changer les traumatismes et la vulnérabilité en résilience personnelle et stabilité.
Le conflit, vu de la perspective du bien-être personnel, commence intérieurement. Très souvent nous avons une idée d’ensemble des choses à faire et rigidifions notre pensée, souvent parce que nous voyons les choses à travers des lunettes colorées par des traumas personnels passés.
Il est libérateur de voir que la prévention de conflits commence aussi intérieurement et que chaque être sensible a donc le pouvoir de se délivrer. Quand les événements dramatiques tournent notre attention vers l’injustice extérieure, nous avons aussi besoin d’événements qui tournent notre mental vers l’intérieur et la méditation, pour pouvoir ainsi préserver l’efficacité de notre travail.
Données personnelles :
Bart Weetjens est moine Zen et entrepreneur social. Il vit avec sa femme et deux filles à Anvers, en Belgique. Bart a obtenu un Master de Product Designer à l’Université d’Anvers. Avec son organisation de progrès social APOPO (www.apopo.org), il a conçu un modèle d’action efficace contre les mines anti-personnel, modèle qui a été reproduit dans six pays d’Afrique et d’Asie du Sud-Est. Bart est membre d’Ashoka, il a reçu la « Skoll Award for Social Entrepreneurship » et est aussi co-leader de www.wellbeing-project.org.