Question. Lors d’une anesthésie générale, à la fin de l’opération le patient reprend conscience. Est-ce que c’est le cas dans cette sédation ?
Réponse. En principe il n’y a pas de reprise de conscience jusqu’au décès. Je préfère utiliser l’image de l’anesthésie générale que celle de coma dans la mesure où l’on procède à l’administration de sédatifs de façon contrôlée, avec des évaluations répétées de la profondeur de la sédation afin de s’assurer qu’il n’y a aucune possibilité de souffrance du fait d’une posologie trop faible, ni que la sédation soit trop puissante pouvant créer une ambiguïté avec un geste euthanasique.
Question. Qu’est-ce qui provoque le décès alors ?
Réponse. C’est la maladie elle-même, c’est le processus du mourir en cours puisque cette sédation n’est administrée ici qu’en toute fin de vie et lorsqu’il existe des causes de souffrance réfractaires aux thérapeutiques habituelles. Néanmoins le décès peut, malgré toutes les précautions, être provoqué par la sédation elle-même et cet aspect aura été envisagé au préalable avec le patient. Clairement le décès n’est pas le but de la sédation. C’est une éventualité tolérée mais non recherchée. D’ailleurs certaines études tendent à prouver qu’une sédation bien conduite en phase terminale ne raccourcit pas la vie.
Question. Je vais poser la question parce que j’ai eu le cas avec mon père qui était en réanimation et on a décidé avec les médecins d’arrêter les traitements actifs. Il y a eu justement une espèce de sédation ou je ne sais pas quoi et il est mort en un ou deux jours. La question que je voulais te poser est de savoir mon père entendait encore et est-ce qu’on pouvait encore lui parler ?
Réponse. Par ce type sédation on recherche à faire disparaître la conscience puisque c’est ainsi que l’on fait disparaître la souffrance que l’on n’arrive pas à soulager autrement. En réanimation toutes les thérapeutiques de support vital sont généralement interrompues parallèlement. On peut chercher à induire une sédation plus modérée qui, tout en faisant disparaître la souffrance, maintienne le contact avec le patient. C’est dans cette situation que l’on recommande aux familles de continuer à parler et à maintenir le contact avec leur être cher. Cela peut sembler contradictoire, c’est pour cela qu’il est important d’informer précisément les familles.
Lorsqu’on parle de souffrance en fin de vie il faut préciser ce dont il s’agit. Il s’agit bien entendu des douleurs physiques en relation avec la maladie devenue incurable, mais il s’agit aussi des souffrances morales, relationnelles, sociales et spirituelles. On parle alors de « souffrance globale ». La vocation de l’accompagnement et des soins palliatifs est de soulager ces souffrances et de limiter leur impact sur les proches.
Question. Je m’excuse de t’interrompre mais tu as parlé de souffrance psychique, c’est cela ?
Réponse. Effectivement j’ai parlé de souffrance psychique, mais aussi physique et spirituelle en fin de vie.
Question. Mais alors tu parles de la psychologie ? Tu parles de quel type de souffrance ?
Réponse. Je ne parle que des souffrances psychiques en relation avec la situation de fin de vie, je ne parle pas de psychopathologie.
Question. Dans quelle proportion êtes-vous amenés à « sédater » des mourants ?
Réponse. Dans environ 30% des cas, lorsque les soins bien menés ne parviennent pas à soulager des souffrances intolérables : douleur physique intense, asphyxie progressive, saignement intarissable, angoisse extrêmes, vomissements incoercibles, agitation sévère. Les sédations profondes sont peu fréquentes ou limitées dans le temps. On réalise assez souvent des sédations plus légères permettant de soulager les patients tout en conservant un contact avec l’entourage. La décision de sédation est une décision qui ne se prend pas à la légère, elle est proposée au patient et abordée avec son entourage. Parfois, après une période d’apaisement, les proches et même les soignants se posent la question du sens de cette sédation surtout lorsque le décès tarde. Ces situations sont l’objet de discussions en équipe car elles peuvent générer de nouvelles souffrances. Il est alors nécessaire de rappeler l’intention qui soutient la thérapeutique en cours et son objectif et de soutenir la famille. Il existe aussi des situations où le patient n’est plus conscient mais où de toute évidence l’agonie est douloureuse. La décision de sédation du mourant est prise collégialement après s’être informé d’éventuels souhaits écrits ou exprimés auprès d’une personne de confiance et concernant sa fin de vie. Il ne s’agit jamais de la décision d’un seul médecin. C’est une décision qui fait son chemin et devient, à un moment donné, en quelque sorte une évidence pour tous.
Question. Lors d’une sédation il n’y a pas de retour en arrière ?
Réponse. Dans certaines situations il est possible d’interrompre une sédation. Par exemple certains mourants présentent des angoisses sévères la nuit. Il est alors parfois possible de proposer une sédation nocturne réversible le matin et de conserver un état de conscience de qualité suffisante pendant la journée. Dans le cas de souffrances continues et intolérables c’est plutôt une sédation continue et profonde qui est proposée.
Question. Lorsque le patient est sous sédation est-ce que l’on poursuit l’alimentation ?
Réponse. Dans cette situation on choisit de limiter toutes les thérapeutiques devenues futiles. Le mourant ne tirant aucun bénéfice d’une nutrition artificielle dans les derniers jours de vie on l’interrompt habituellement. Il est fréquent de maintenir une hydratation limitée aux besoins et toujours de poursuivre des soins de bouche à visée de confort. De la même façon une alimentation par la bouche est interrompue compte tenu des risques de fausses routes. Ceci doit évidemment être expliqué à la famille qui pourrait interpréter ce choix comme un abandon de soin et il faut garder à l’esprit la force symbolique de l’alimentation.
Question. Est-ce que la famille peut décider à la place d’un malade des choix concernant sa fin de vie lorsque celui-ci n’est plus conscient ?
Réponse. Pour prévenir cette éventualité il est préférable pour chacun d’entre nous de préciser ses souhaits concernant sa propre fin de vie à une personne de confiance qui peut être son médecin traitant par exemple ou un proche même s’il ne fait pas partie de la famille. Au mieux il est souhaitable de rédiger nos souhaits par écrit. Ceci permet de guider au mieux la discussion collégiale entre les membres de l’équipe et la décision du médecin responsable en d’évitant des interférences de l’entourage qui peuvent potentiellement être en contradiction avec nos vœux.
Il est important de préciser ce que l’on entend par euthanasie et suicide médicalement assisté car ce sont des sujets de débat dans la société contemporaine avec des implications politiques et législatives. Le suicide médicalement assisté consiste, pour un malade atteint d’une affection mortelle à un terme plus ou moins éloigné, à requérir un médecin pour une prescription médicamenteuse et une assistance, en vue de s’administrer lui-même une substance provoquant la mort.
L’euthanasie est l’administration par un médecin, à la demande réitérée d’un patient en fin de vie et empêché de se suicider, d’une substance provoquant une mort rapide. Il est important de se mettre d’accord sur ces termes afin d’éclairer les actions mises en œuvre par les médecins, leurs intentions et leurs résultats. Le plus souvent les demandes d’euthanasie ne sont pas celles d’hédonistes qui nous disent: « j’ai tout perdu » et « la vie ne vaut plus la peine d’être vécue». Ce sont habituellement des demandes provenant de patients vivant d’immenses souffrances, vaincus par une maladie mortelle et qui ont perdu le sens de leur propre vie. Ils éprouvent souvent un sentiment de perte de rôle au sein de leur famille, de leur communauté, de la société avec un fort sentiment de culpabilité voire d’indignité due au fardeau qu’ils font peser sur 8 8leurs proches. C’est justement là que débute le travail des soins et de l’accompagnement dans la philosophie des soins palliatifs et de la nécessaire analyse des dimensions éthique de la demande.
Une approche rigoureuse des questions relatives à l’euthanasie et les soins en fin de vie par l’éthique bouddhiste permet d’éclairer ces points en débat.
Toutes les traditions bouddhistes partagent trois points de vue essentiels :
- le premier précepte qui consiste à ne pas interrompre volontairement la vie.
- permettre à la personne de vivre « le mieux possible » le processus de la fin de la vie
- animé par l’esprit de compassion et de bienveillance et dans le respect du premier précepte, tout faire pour soulager les douleurs physiques insupportables ainsi que les souffrances morales de la fin de vie.
Comme soignant bouddhiste on ne peut pas se contenter de la posture morale « je suis contre l’euthanasie ». Ce positionnement nous enjoint de récuser tout acharnement thérapeutique, d’accepter la mort comme un processus naturel et inéluctable et de refuser de la hâter, de la précipiter. Elle nous commande de nous donner tous les moyens utiles visant à contrôler au mieux les souffrances de toute nature en fin de vie. Une approche globale de la personne, respectueuse de la valeur essentielle de la vie, permet de restituer au mourant, infiniment vulnérable, un sentiment de dignité. Ceci est d’autant plus utile que nous évoluons dans une société qui privilégie l’autonomie, l’efficacité, la vitesse, le gain, le pouvoir, le succès technique, la séduction et la jeunesse éternelle. Or dans la vieillesse et la maladie nous rencontrons l’échec, l’attente, la dépendance, la perte de contrôle du corps et de l’esprit et finalement la mort.
En s’opposant ainsi autant à l’acharnement thérapeutique qu’à l’abandon des soins, en promouvant toutes les thérapeutiques de soulagement et l’accompagnement spirituel, il est possible d’actualiser la voie du boddhisattva.