Question. J’ai été amené à accompagner l’ancien responsable du dojo de Toulon. Quand il était à l’hôpital Nord à Marseille j’ai vu une affiche, j’ai vu plusieurs cultes comme ça affichés. Si les personnes le voulaient, elles pouvaient s’adresser à ces référents. J’en ai parlé à Armand, il n’a rien fait à ce niveau-là, il n’a pas voulu. Je lui ai dit : “Tu sais, il existe un référent bouddhiste, le Dr Chevassut, et tu peux le rencontrer”. Il en a rien fait et je n’ai pas osé aller plus loin. Est-ce que c’était vraiment un refus ? Peut-être aurait-il suffi de dire quelque chose au docteur Chevassut et il serait venu le voir ? Voilà, ça me met en émotion de me dire : « Est-ce que je n’ai pas été trop en retrait » ? A ne pas vouloir être intrusive finalement est-ce que je n’ai pas été trop en retrait ? Tu vois c’est la question que je me pose mais il y avait quand même cette affiche qui était devant sa porte !
Réponse. Je pense que justement le rôle de l’accompagnant c’est de respecter cela. Si un malade est suffisamment conscient et qu’il comprend bien qu’il a l’accès à une ressource spirituelle et qu’il n’éprouve pas le besoin, de la 16 16solliciter il faut l’accepter. Peut-être que ta présence faisait plus sens pour lui à ce moment-là.
Question. La question que je me suis posée c’est « est-ce qu’il n’était pas quelque part dans le déni de sa mort prochaine »?
Réponse. C’est difficile à dire sur ces seuls éléments. De façon plus générale l’évolution psychologique en fin de vie reste souvent inachevée et rien ne nous autorise à la forcer. Par exemple Kübler-Ross, cette psychiatre qui a travaillée toute sa vie à l’écoute des malades en fin de vie, est morte dans la colère de n’avoir pu achever son œuvre. On aurait pu croire qu’elle serait morte apaisée, et bien non, elle est morte dans la colère. Donc là, c’est la colère à accueillir, ailleurs le déni. Accueillir c’est aussi accueillir l’impossibilité d’aller plus loin, et ce simple accueil sans jugement peut autoriser à passer à un autre état de conscience. L’intervention d’une psychologue est souvent utile lorsqu’un état de conscience génère une souffrance et ne peut évoluer.
Moi je témoigne des souffrances de la fin de vie par asphyxie parce que j’ai vu mon père mourir étouffé et même pour l’entourage c’est terrible.
Question. Moi je suis toujours étonné, mourir étouffé ça doit être terrible bien sûr, mais il y a des gens qui se noient par exemple et qui sont réanimés. Ils témoignent ensuite que la noyade n’était pas quelque chose de terrible.
Réponse. En tous cas, un patient en train d’étouffer exprime toujours le fait qu’il faut que ça s’arrête. Il faut qu’on trouve une solution dans un sens ou dans un autre mais il faut que ça s’arrête.
Question. Oui, c’est au-delà de cette angoisse.
Réponse. Je crois que ce n’est pas pareil, mourir noyé et mourir d’asphyxie par étouffement. Je crois que ce n’est pas pareil. Question: Parce que là le corps n’arrive pas à assumer cette fonction naturelle.
Oui, quand on étouffe on est au contact de l’air et cet air ne rentre plus.
Question. Mon père est toujours resté à la maison. Avec ma mère on n’a pas compris parce que le dernier jour, le kiné n’a pas voulu faire les soins respiratoires. A la fin, il est mort dans la nuit. Ma mère l’a trouvé mort. Mais je veux dire, comment se fait-il que le kiné n’ait pas fait ces actes? On n’a pas compris.
Réponse. Il faudrait en parler avec lui, c’est difficile. Peut-être avait-il constaté que ton père était épuisé, dans une phase très évoluée et que son intervention lui semblait plus nocive que bénéfique, j’imagine. Quand on pratique des soins à des patients en fin de vie chaque geste, chaque soin doit être réfléchi: “Est-ce que notre action est bienfaisante ou malfaisante? Est-ce que c’est utile, est-ce que c’est inutile? Est-ce que faire une prise de sang quelques jours avant la mort cela a un sens? Est-ce que transporter un patient pour passer une radio des poumons va changer la prise en charge?” Toutes les décisions doivent être réévaluées voire discutées en équipe Peut-être que le kiné a fait cette analyse.
Question. Oui mais finalement il n’a pas dit cela à ma mère, il a dit “non, ce n’est pas la peine” et il n’est pas venu faire les autres séances. Sauf que ce n’est pas suffisant pour nous.
Réponse. Un déficit de dialogue et d’information est toujours nuisible.
A l’occasion de cette relation d’un décès à domicile il est utile de rappeler qu’il est souhaitable d’aborder une personne en fin de vie avec un état d’esprit équanime, apaisé qui va influencer celui du mourant et d’établir une atmosphère sereine. Il est utile de ménager une lumière douce et d’éviter les éclats de voix ou les pleurs bruyants, l’air doit être renouvelé et il est possible d’allumer des bougies et de l’encens On peut rappeler à un pratiquant du zen ses vœux de boddhisatva et chanter l’ Hannah Shingyo. On peut lui proposer aussi de se repentir et de porter le rakusu ou de le mettre entre ses mains en récitant le Daisai gedappuku. On peut faire zazen à son chevet ou dans la maison en lui dédiant les mérites. Ceci souligne le fait que la mort n’est pas l’affaire de la seule personne qui meurt, mais que c’est un évènement communautaire, social, qui actualise une solidarité en humanité et l’interdépendance entre tous les êtres sensibles.
Question. As-tu entendu parler de personnes réanimées qui reprennent conscience et décrivent des expériences de sortie de corps, de tunnel lumineux et de perception d‘un amour inconditionnel. As-tu déjà vu ces « morts vivants » ?
Réponse. Il ne s’agit pas de « morts vivants » mais de personnes bien vivantes qui ont vécu une expérience de mort imminente. Je n’en ai pas observé en réanimation mais on ne trouve que ce que l’on cherche. Un médecin anesthésiste et un neurochirurgien s’intéressant à ce sujet ont écrit récemment des livres rapportant des témoignages. Certaines de leurs conclusions ne me convainquent pas mais il n’en reste pas moins que certains phénomènes rapportés sont difficilement explicables rationnellement. Les auteurs estiment que ces observations apportent un faisceau d’arguments suffisamment convaincants pour suggérer l’existence d’une forme de vie après la mort. Si ça peut rassurer pourquoi pas. Pour moi cette affirmation d’une après vie est de l’ordre de l’acte de foi reposant sur une logique mais qui reste hors du champ 19 19de la connaissance scientifique. Comme boddhisattva je trouve qu’il y a déjà fort à faire dans ce monde-ci.