Traitement de la douleur

Question. Certaines personnes sont transformées après avoir guéri d’un cancer comme après ces expériences. Qu’en penses-tu ?

Réponse. On observe souvent qu’après des expériences humaines tragiques ou extrêmes, certaines personnes connaissent une sérénité et une bienveillance qu’ils n’avaient pas avant. Peut-être est-ce une forme d’éveil à l’urgence de vivre le moment présent et à aller à l’essentiel. S’il reste du temps je vais présenter une « vignette clinique ». C’est un moment de présence en fin de vie qui ne constitue pas à proprement parler un accompagnement spirituel répondant à une demande identifiée et spécifique d’une religion. Je parle d’une approche médicale mais en même temps que l’on peut l’élargir et je pense que Nelly donnera d’autres témoignages intéressants sur l’accompagnement par les bénévoles.

J’ai rencontré cette patiente en unité de soins palliatifs à la suite de la visite du matin. La visite dans une unité de soins palliatifs n’a rien à voir avec la visite hospitalière que vous connaissez. Il y a certes une visite formelle qui n’est pas toujours la plus importante. Après la visite les médecins, les soignants, les différents intervenants abordent certaines situations particulières en tête-à-tête avec les patients et ensuite on ménage un moment de partage en équipe et c’est là que se prennent les décisions les plus importantes.

Donc il s’agit d’une femme de soixante ans, mariée, qui a deux filles de 25/30 ans et qui présente une récidive d’un cancer du sein avec des métastases multiples et en particulier pulmonaires qui entraînent un essoufflement, une gêne respiratoire très importante, nécessitant une administration d’oxygène pour la soulager. L’objectif ici n’est pas de prolonger inutilement la vie, mais d’améliorer la qualité de la vie qui est présente et qui souffre. Elle a aussi des métastases au niveau des os et en particulier au niveau de la colonne vertébrale entraînant une compression de la moelle et une paralysie des jambes avec des douleurs fulgurantes. Les douleurs sont bien soulagées mais persiste l’essoufflement qui 20 20me frappe lors de cette rencontre. La première chose que la malade m’exprime c’est son inquiétude relative au risque de mourir d’asphyxie. On prévoit dans ces situations une procédure de prescription anticipée d’une sédation rapide et profonde qui peut être mise en œuvre à la demande du patient lorsqu’il juge que la situation devient intolérable. Cette information la rassure. Elle en a déjà été informée mais elle a besoin comme, c’est souvent le cas, d’une confirmation, d’une réassurance.

La deuxième question qu’elle me pose, c’est « Est-ce que je vais pouvoir remarcher? » Donc c’est son deuxième souci « est-ce que je remarcherai un jour »? Je lui explique qu’elle reçoit des traitements antalgiques qui visent à contrôler les douleurs de la colonne vertébrale mais qu’en aucun cas ils ne lui permettront de remarcher. C’est déjà un sujet qui a été abordé avec d’autres soignants et ici elle « marchande », « négocie » avec un pronostic funeste. La perspective pour elle est de rester paralysée dans son lit jusqu’à son décès. Ce qui me frappe aussi c’est qu’elle fait des très longues phrases qu’elle achève totalement essoufflée et épuisée. Je lui propose de faire des phrases plus courtes en reprenant son souffle, des inspirations et des expirations pour couper ses phrases. Et c’est là je trouve qu’il y a une opportunité, à partir de sa souffrance, d’introduire une autre dimension à l’échange et je lui propose de se concentrer sur sa respiration, d’approfondir l’expiration et d’observer ses sensations. Elle éprouve la sensation de son corps qui ne répond plus à partir de la ceinture et .je lui suggère de se concentrer sur cette sensation et de la laisser passer avec ses pensées. Je suis assis en face d’elle et je suis son rythme respiratoire, je sens que peu à peu le rythme se ralentit. Après quelques minutes je lui demande quel a été son ressenti. Elle prend conscience qu’elle respire plus calmement et ressent un apaisement intérieur. Elle me dit: « c’est bizarre parce que la kiné aussi me fait travailler la respiration mais je n’ai pas cette sensation de calme intérieur ». Alors je lui réponds: « la kiné ne vous fait pas travailler sur le même plan. Je vous ai proposé une forme d’harmonisation entre votre corps et votre esprit ». Je lui explique qu’elle a toujours la possibilité de renouveler cet exercice lorsqu’elle en éprouve le besoin. Je lui fais remarquer aussi que son système d’administration d’oxygène ne marche pas et que sans oxygène elle est malgré tout nettement plus apaisée et confortable, beaucoup moins angoissée et qu’elle peut probablement s’en passer actuellement.

Il important de souligner l’importance pour les médecins, les soignants et les citoyens de connaître nos droits et devoirs respectifs concernant les bonnes pratiques soignantes en fin de vie, dans les établissements de soin et à domicile, afin de réduire au maximum les situations de souffrance intolérables conduisant à des demandes d’euthanasie ou de suicide assisté.

Pour terminer je rapporterai les dernières paroles du Shoji de Dogen:

« Il y a une façon très simple de devenir bouddha.
Ne commettez pas le mal,
Ne vous attachez pas à vie-et-mort
Et faites preuve d’une profonde compassion envers tous les êtres vivants.
Vénérez vos aînés sur la Voie
Et soyez bienveillants avec les moins avancés.
Soyez libre avec l’esprit qui rejette les myriades de choses,
Et libre de l’esprit qui les convoite.
Ayez un esprit sans regret ni chagrin.
C’est ce qu’on entend par état de bouddha.
Ne recherchez rien d’autre. »