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Par Jean-François Viaud
Lorsque l’on prend connaissance des chiffres-clés de l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS)1 sur les risques psychosociaux, on prend conscience des menaces qui pèsent sur la santé des salariés. Une enquête de 2013 sur les conditions de travail indique : « En France, 47 % des actifs occupés déclarent devoir (toujours, souvent) se dépêcher, 31 % déclarent devoir cacher leurs émotions, faire semblant d’être de bonne humeur (toujours, souvent), 27 % disent ne pas pouvoir régler par eux-mêmes les incidents, 36 % signalent avoir subi au moins un comportement hostile dans le cadre de leur travail au cours des 12 derniers mois, 33 % disent ne pas éprouver la fierté du travail bien fait (toujours, souvent), 24 % craignent de perdre leur emploi. »
Mais qu’entend-on par risques psychosociaux ? Toujours selon l’INRS, ils correspondent à des situations de travail où le stress, des violences internes (harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes) ou externes (insultes, menaces, agressions…) et sont présentes de manière isolée ou combinée. Ces risques peuvent être issus de l’activité ou créés par l’organisation ou les relations de travail. Les conséquences de ces risques peuvent porter sur la santé des salariés à travers des maladies cardio-vasculaires, de troubles musculo-squelettiques, de troubles anxiodépressifs, d’épuisement professionnel, voire de suicide.
Au-delà de ces études, on entend de plus en plus parler autour de soi : simples remarques, des plaintes ou des témoignages de mauvaises expériences et de ces risques au travail. On qualifiait couramment, il y a quelques années, de « pervers narcissiques » les personnes qui usaient de harcèlement moral sur des collègues ou des collaborateurs. Dans le cadre de notre pratique du zen, il nous arrive régulièrement d’entendre durant les Mondo des questions abordant ces sujets. Bien évidemment, la question est posée dans l’attente d’avoir une solution afin de pouvoir réagir face à cette situation.
Que peuvent nous apporter le Zen et la méditation face à ces situations ? Je voudrais faire part de situations vécues à titre personnel à différents moments de mon parcours professionnel et à différents moments de ma pratique du zen. Ces expériences et la pratique m’amènent également à percevoir et ressentir avec plus de clarté la situation d’autres personnes ou de collègues, d’autant plus que j’ai côtoyé plusieurs cas de Burn-out autour de moi ces dernières années. Ce qui est perturbant dans ces situations, c’est que l’on voit bien que quelque chose ne va pas, mais que l’on s’en rend compte une fois que le burn-out s’est installé. Il est donc trop tard, or le plus difficile est de le prévenir avant qu’il ne survienne.
J’ai vécu il y a quelques années une expérience en entreprise de conflit avec un cadre dirigeant, que je pense avoir bien géré. Nous étions au bureau et dès le matin, même avant de me dire bonjour, il s’adresse à moi sur un ton agressif en me reprochant de ne pas avoir diffusé une information. Cependant il ne m’explique pas clairement son reproche et je comprends seulement qu’il est de mauvaise humeur. Ce type de situation est perturbant, car je me suis senti au pied du mur, j’ai ressenti un sentiment de culpabilité et je ne comprenais pas le fond du problème. J’aurais pu choisir une réponse agressive et rentrer réellement en conflit avec lui, ou choisir une réponse « béni-oui-oui » et un comportement servile. Bizarrement, j’ai réagi autrement. Ayant une expérience de l’entretien de vente, j’ai tout d’abord pratiqué une écoute active et je l’ai laissé vider sa colère. J’ai également essayé de comprendre en posant des questions et en reformulant ses réponses, mais sans agressivité pour qu’il ne revienne pas à la charge et se sente à son tour attaqué. Je crois que j’ai gardé une attitude d’équanimité tout en étant bienveillant à son égard. Je pense que cela m’a permis de montrer de l’assertivité et de gagner en respect. Enfin, je n’ai également pas eu peur de la situation de conflit. Bien sûr, je lui ai démontré que j’avais réalisé ce qu’il me reprochait de ne pas avoir fait. Il finit par m’expliquer ce qu’il me reprochait : une autre filiale du groupe était en train de réaliser une action similaire à celle que je devais réaliser. A ma grande surprise, à la fin de nos échanges, il est venu s’excuser et je fus très surpris de sa réaction.
Est-ce que la pratique de Zazen m’a aidé à réagir à cette situation ? Je le pense, mais je n’en suis pas sûr et rien ne me le prouve. Je suppose que la pratique du zen m’a aidé à ne pas tomber dans un des pièges de la Voie : le piège de l’opposition, de la discrimination à mon tour et en fin de compte, de la confrontation. Et peut-être de percevoir que mon interlocuteur, s’il est dans une position d’ennemi à ce moment-là de la relation n’est pas mon ennemi à tout moment. Que s’il m’agresse, c’est que lui-même se sent attaqué et qu’il cache un doute ou une fragilité derrière cette agressivité. La pratique du zen m’a sans doute permis de dépasser mon égo et de ne pas rentrer en conflit frontal d’égo contre égo. Les guerres d’égos sont courantes dans les milieux professionnels ! Je pense que la pratique régulière de Zazen peut nous apporter la possibilité de prolonger dans la vie de tous les jours la pratique constante, c’est-à-dire le Gyoji. C’est ce comportement que nous pouvons développer le plus possible dans notre quotidien et qui par interdépendance influencera notre entourage et fera changer nos interlocuteurs à leur tour.
Je ne garde pas un trop mauvais souvenir de cet événement après coup, car à d’autres périodes de ma vie professionnelle je n’ai pas toujours aussi bien réagi. Il m’est arrivé de ne pas m’affirmer dans certaines relations avec un supérieur hiérarchique, alors que j’aurais pu le faire. J’ai parfois laissé se dégrader une situation. Ce n’est jamais facile d’évaluer et de doser les situations dans lesquelles il faut donner du répondant et celles où il vaut mieux ne pas « faire de vagues » !
Les fonctions d’encadrement ne sont pas faciles, et je m’en rends compte pour avoir exercé celle de manager commercial. Je n’ai peut-être pas moi-même été toujours à la hauteur, même si j’ai toujours cherché à être à l’écoute. Certains collaborateurs sont très souvent dans la revendication et ce n’est pas simple à gérer non plus pour un manager, lorsque l’on se situe de l’autre côté. Encore une fois, il n’est jamais facile d’être constamment bienveillant et équanime. Il me semble, que l’essentiel est d’essayer de l’être le plus souvent possible. C’est le sens de notre pratique de zazen et au-delà du Gyoji dans la vie de tous les jours. Il est d’ailleurs curieux d’utiliser le terme bienveillant dans le monde de l’entreprise et du management, où il est plutôt considéré comme synonyme de faiblesse. Je me souviens, que lorsque j’étais manager commercial, mon responsable m’avait reproché d’être trop bienveillant envers les collaborateurs que j’avais sous ma responsabilité. Cette remarque m’avait fait réfléchir sur le sens de la bienveillance et le comportement qui avait le plus de sens dans mon travail. Pour moi, la bienveillance est aussi synonyme d’écoute, ce qui me semble être une des missions du manager. Etre à l’écoute, mais sans pour autant, à l’inverse, tout accepter non plus.
Quelles sont les évolutions actuelles et les actions qui peuvent amener à améliorer cette situation ? Il est déjà paradoxal de parler de méditation dans le monde de l’entreprise où l’on parle plus couramment de performance à tous les niveaux. On parle également de compétition avec la concurrence, de gain de parts de marché et de guerre économique. En ce qui me concerne, je ne parle pas encore de ma pratique du zen dans mon entourage professionnel, ni avec mes responsables hiérarchiques, ni avec mes collègues. Je ne m’en sens pas prêt. Cependant les choses évoluent très vite et il est possible que l’on parle de plus en plus de pratiques méditatives dans le contexte de l’entreprise et du management. Cette percée de la méditation laïque en entreprise semble être similaire à celle débutée par Jon Kabat Zinn, puis par Christophe André dans le monde médical et Fabrice Midal dans la société. Même s’ils ont rendu laïque la pratique méditative, et donc accessible au plus grand nombre, ils rappellent que son origine vient du Bouddhisme.
On observe actuellement plusieurs expériences qui ont lieu directement en entreprise et dans le secteur de la recherche dans le domaine des sciences de gestion. Dans l’immédiat, les expériences sont pratiquées dans le domaine de la méditation laïque et l’on parle de pratique de méditation de pleine conscience ou Mindfulness. Le développement actuel de la pratique méditative de pleine conscience est particulièrement cautionné par les récentes recherches scientifiques en neurosciences. Le zen n’est pas évoqué, mais l’origine Bouddhiste est parfois présente dans plusieurs interventions, comme celle du Dalai Lama à l’Université de Strasbourg, et celles de Matthieu Ricard à Grenoble, à l’Ecole de Management (GEM) ou au forum économique de Davos.
Ce qui est particulièrement étonnant, c’est qu’une Ecole de Commerce comme celle de Grenoble (GEM) dispose même d’une Chaire : « Mindfulness, Bien-être au travail et Paix économique ».2 Dominique Steiler, titulaire de cette Chaire, dispense aux étudiants en formation initiale, ainsi qu’aux professionnels en formation continue, des techniques de méditation de pleine conscience. Des entreprises de la région participent en finançant cette Chaire au développement de la recherche par des publications, et au développement des pratiques méditatives dans leurs entreprises. Son livre : « Osons la paix économique : de la pleine conscience au souci du bien commun »3, paraît fin septembre 2017.
Il y a également la démarche de Sébastien Henry qui est un ancien manager, puis créateur et dirigeant d’entreprise et qui a été sensibilisé au monde monastique. En Occident, puis en Asie, il s’est rapproché des Bénédictins et des moines zen Rinzai. Sa pratique de la méditation l’a amené à proposer un accompagnement aux chefs d’entreprises et aux managers. Son premier livre sur le sujet, « Quand les décideurs s’inspirent des moines, 9 principes pour donner du sens à votre action »4, est très étonnant, car il rapproche la règle monastique de Saint-Benoît et la vie en entreprise. Son deuxième livre : « Ces décideurs qui méditent et s’engagent, un pont entre sagesse et business »5, s’intéresse plus particulièrement aux expériences de pratiquants de la méditation en entreprise. Il prépare un nouvel ouvrage, organise des retraites et a pour ambition de créer des lieux de méditation proches des centres d’affaires des grandes villes, pour permettre aux dirigeants de méditer le plus souvent possible.
A côté de ces démarches structurées et intéressantes, de nombreux anciens managers et dirigeants ont créé leur propre organisme d’accompagnement vers la méditation. On observe qu’ils ont généralement un diplôme de coach en entreprise, de méditation de pleine conscience ou de psychologie positive. Ils pratiquent des retraites Bouddhistes et laïques et à leur tour en organisent. Selon les prix qu’ils proposent, on perçoit qu’ils créent un business autour cette pratique. Même si je ne cherche absolument pas à faire de prosélytisme autour de ma propre pratique du zen, celle-ci me donne du recul. J’ai une image trop superficielle de cette commercialisation de la méditation en entreprise qui me semble être assimilée à du bien-être éphémère. Certaines personnes s’opposent à cela en argumentant que les dirigeants s’approprient une nouvelle technique pour rendre les salariés plus performants dans leur activité professionnelle. Heureusement, de nombreux échanges sur les réseaux sociaux ont lieu en ce moment. Ils réagissent à ce commerce de la méditation et relayent notamment beaucoup d’articles de journaux comme celui de David Loy et Ron Purser « La commercialisation de la pleine conscience »6, ou d’articles de blog Internet, comme celui d’Anne-Valérie Rocourt, « Méditation en entreprise : quelles sont les dérives possibles ? »7. Ils s’interrogent sur les véritables intentions de ces démarches de méditation en entreprise. Tout en restant dans une approche laïque, ils reviennent à l’essentiel, en mettant en garde de ne rien attendre de la pratique méditative, et surtout pas du bien-être ou un gain quelconque. Même si l’on discerne rapidement certaines dérives, on constate que cette tendance au développement de la méditation en entreprise va dans le bon sens. En tous cas, je veux le croire et rester positif, sans discrimination et sans opposer les dirigeants et managers d’entreprises aux salariés. Il n’y a certainement pas que des mauvaises intentions dans le développement de la méditation en entreprise.
Si l’ensemble de ces démarches peut permettre d’éviter les Burn-out, ce sera déjà une bonne chose. Il existe actuellement un diplôme d’Université : « Management de la Qualité de Vie au Travail & Santé »8 à l’IAE de Lyon 3 et un diplôme d’Université : « Médecine Méditation et Neurosciences »9 à l’Université de Strasbourg, mais ce dernier est réservé aux médecins et aux psychologues. Il n’existe pas encore de diplôme d’Université de méditation en entreprise pour les managers et dirigeants. Espérons que cela existe prochainement : il vaut mieux prévenir que guérir en ce qui concerne les risques psychosociaux !
Bibliographie et Webographie :
- INRS : Dossier : « Ce qu’il faut retenir sur les risques psychosociaux », disponible sur : http://www.inrs.fr/risques/psychosociaux/ce-qu-il-faut-retenir.html, consulté en août 2017. ↩︎
- Grenoble Ecole de Management : « Chaire Mindfulness, Bien-être au travail et Paix économique », disponible sur : http://www.mindfulness-at-work.fr/fr/, consulté en août 2017. ↩︎
- STEILER Dominique, 2017, “Osons la paix économique : de la pleine conscience au souci du bien commun”, Pour un monde du travail au service de l’épanouissement humain et social, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2017, 272 p. Sortie le 20 septembre 2017, Préface de : Matthieu Ricard. ↩︎
- HENRY Sébastien. 2012, « Quand les décideurs s’inspirent des moines, 9 principes pour donner du sens à votre action », Paris, Dunod, 2012, 256p. ↩︎
- HENRY Sébastien. 2014, «Ces décideurs qui méditent et s’engagent, un pont entre sagesse et business», Paris, Dunod, 2014, 271p. Préfaces de : Matthieu Ricard et de Thierry Marx. ↩︎
- David LOY, Ron PURSER « La commercialisation de la pleine conscience ». Un article publié initialement sous le titre « Beyond McMindfulness » dans le HuffingtonPost du 2 juillet 2013. Disponible sur : http://www.bouddhisme-action.net/la-commercialisation-de-la-pleine-conscience/, consulté en août 2017. ↩︎
- ROCOURT Anne-Valérie, « Méditation en entreprise : quelles sont les dérives possibles ? », publié le 9 juin 2017 sur www.mediter-et-agir.com, disponible sur : https://www.mediter-et-agir.com/single-post/meditation-en-entreprise, consulté en août 2017. ↩︎
- Diplôme Universitaire : « Management de la Qualité de Vie au Travail & Santé », IAE de Lyon 3, disponibles sur : http://iae.univ-lyon3.fr/d-u-management-de-la-qualite-de-vie-au-travail-sante-986770.kjsp, consulté en août 2017. ↩︎
- Diplôme Universitaire : «Médecine Méditation et Neurosciences », Université de Strasbourg, disponibles sur : https://sfc.unistra.fr/formations/gerontologie_-_sante-au-travail-et-education-a-la-sante_-_diplome-duniversite-de-medecine-meditation-et-neurosciences_-_715/, consulté en août 2017. ↩︎