La question fondamentale d’Okumura est de savoir comment nous pouvons entendre la Voix du Bouddha et voir le Corps du Bouddha (qui peuvent être compris comme Réalité vraie, réelle), sans l’altérer par nos sens limités et nos préjugés mentaux. Et sa conclusion initiale est que nous ne pouvons pas le faire tant que nous comptons sur nos sens et notre compréhension intellectuelle. Se référant à un enseignement précoce du Bouddha historique, Okumura explique qu’il y aura toujours des barrières aussi longtemps qu’il y aura contact entre nos organes sensoriels (yeux, oreilles, nez, etc.), leurs objets (vues, sons, odeur) et une conscience qui traite ces impressions. Sa conclusion est que nous devons surmonter la séparation entre le sujet et l’objet lui-même. Et la clé de tout cela, c’est ce qu’il appelle « l’esprit du shikan », comme dans l’expression « shikantaza »: « simplement s’asseoir » :
« Ce mot « juste » ou « simplement » est la pierre angulaire de l’enseignement de Dōgen. Les montagnes ne sont que des montagnes et les eaux ne sont que des eaux. Dans le cas du zazen, nous sommes simplement assis … » (loc. 3771.)
Et au sujet d’autres activités Okumura ajoute:
« Nous ne faisons pas que nous asseoir: quand nous mangeons, nous ne faisons que manger; quand nous travaillons dans la cuisine, nous ne faisons que cuisiner; quand nous nettoyons, nous nettoyons, quand nous chantons, nous chantons… » (loc. 3777)
Zazen est l’activité fondamentale de la pratique du Zen. Pour Okumura, chaque chapitre du Shobogenzo vise en fin de compte zazen. Zazen a été décrit de différentes façons, mais pour Dōgen et Okumura, c’est essentiellement « shikantaza » : « simplement s’asseoir ». Le fait de dépouiller l’assise – et par extension toutes les autres activités – de tout objectif et signification redondants nous permet de surmonter les barrières entre nous, ces activités et le monde qui nous entoure. Cela nous donne la chance de voir le Corps du Bouddha, d’entendre sa Voix et de fusionner avec la Réalité elle-même.
Malgré les nombreuses références à l’environnement naturel, Sansuikyō n’est donc pas strictement un texte sur la nature. Dōgen et Okumura utilisent la métaphore des montagnes et des rivières pour parler du Dharma de Bouddha en premier lieu. Les montagnes et les rivières sont utilisées comme images, pour illustrer le fait que toute la nature exprime la vérité de l’enseignement du Bouddha. Ils sont aussi utilisés pour montrer notre incapacité fondamentale à comprendre ou même à vivre cette Réalité ultime, bien que nous en soyons une partie inséparable.
Mais Okumura puise néanmoins du Sansuikyō une forte inspiration pour prendre soin de l’environnement naturel tel que nous le comprenons aujourd’hui. Dōgen n’aurait pas pu prévoir ni même imaginer les crises environnementales du 21ème siècle. Et pourtant son enseignement de l’interdépendance absolue, exprimée à travers l’image des montagnes et des rivières, est aussi au cœur de l’écologie moderne.
Okumura commente ce point :
« Pour voir la vraie réalité de tous les êtres, nous vivons ensemble avec tous les êtres, nous nous sentons connectés avec tous les êtres. Si nous ne voyons pas cela, nous tuons une partie de ce réseau originel d’interdépendances et en fait, nous nous tuons nous-mêmes… » (Loc. 3129)
Bien qu’il ne soit pas explicitement énoncé, il semble que ce soit son souci de l’environnement naturel qui ait finalement amené Okumura à écrire « The Mountains and Waters Sūtra ». Son livre est également un hommage au publiciste et militant écologiste Gary Snyder, dont l’essai datant de 1990 « Mountains Hidden in Mountains: Dōgen Zenji and the Mind of Ecology » est réédité intégralement dans l’annexe du livre d’Okumura.
Le conseil le plus ferme d’Okumura à son auditoire est de ne pas accepter passivement son point de vue ou celui de quelqu’un d’autre. Il nous encourage à nous engager directement à étudier le texte original et à prendre nos propres décisions, à la lumière de nos propres expériences. Dōgen ne veut pas nous enseigner la vérité ultime, mais nous exhorte à toujours continuer à chercher et à ne pas stagner sur des réponses que nous penserions définitives.
Lorsque vous aurez lu « The Mountains and Waters Sūtra », Dōgen sera devenu un peu plus accessible pour vous et vous serez prêt à aborder le prochain chapitre.
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