Question 5 : « En parlant de la mort, j’ai l’impression que la souffrance que nous avons vis-à-vis de la mort des autres, est pour moi sélective, parce que je sais qu’on peut souffrir de la mort. Par exemple, toute ma vie, j’ai entendu mon père dire : « J’aimerais mourir debout ». Et je lui disais : « Mais quand on meurt, on est couché ». Et il me disait : « Debout, ça veut dire : mourir en bonne santé ».
Et quand mon papa est mort vraiment en bonne santé, à l’âge de 80 ans, je n’ai pas souffert, parce que je me suis dit : « C’est merveilleux, parce qu’il est mort sans souffrir ». Par contre, j’ai eu une sœur qui avait peur de la mort et qui est morte jeune brutalement. Et là j’ai eu une forte souffrance … Et c’est comme ça que je suis venue au zen, parce que je ne voulais pas devoir aller voir un psy et j’ai donc demandé où je pouvais trouver de l’aide. On m’a dit : « Fais de la méditation », et donc j’ai cherché et trouvé le dojo de Nice.
J’ai dit à la personne qui fut mon premier enseignant : « Je suis venue pour me guérir de la mort, parce que je souffre ». Il m’a dit : « Tu vas faire zazen et tu t’assois ».
Moi, je pensais qu’on allait me prendre en mains et me consoler. Puis j’ai commencé zazen et je me suis aperçue qu’en faisant zazen, il m’a été imposé une autre souffrance, c’est-à-dire une souffrance physique : il fallait s’assoir comme ça, rester comme ça, ne pas parler et ne pas regarder, mais rester face au mur. Et en faisant ça, je me suis aperçue que j’ai été tellement concentrée sur cette démarche de zazen que j’ai oublié la mort.
Quand l’enseignant m’a dit qu’il fallait laisser passer, je lui ai dit : « Depuis que je fais zazen, toute ma vie ressort, c’est comme un film ». Alors il m’a dit : « Ne t’affole pas, il ne faut pas forcer. Tu laisses aller, tu laisses aller ».
Puis un autre jour, j’ai discuté avec un groupe de yoga et les gens m’ont dit : « Tu fais zazen comment ? » J’ai dit : « Quand je fais zazen, c’est en silence, c’est silencieux. On n’a pas quelqu’un qui chante ou qui nous dit : « Allongez-vous, etc. ». Et ils m’ont dit que c’était bizarre et que ça devait être difficile. Je leur ai répondu : « Non, parce que maintenant cela ne se passe plus, le film ne vient plus, et j’ai trouvé la joie à faire zazen. Au début, ça a été très difficile, mais maintenant faire zazen est entré dans ma vie et ça me permet de trouver le calme … Voilà ».
Roland Rech : « Parfois c’est difficile, parce que ça va à l’encontre de tellement de conditionnements que nous avons dans notre vie. On ne commence pas malheureusement à faire zazen dans la petite enfance, donc on accumule beaucoup de choses dans la vie, beaucoup de conditionnements et il faut s’en libérer. En fait, on a du mal à s’en libérer par notre propre volonté, mais si l’on se remet au zazen, c’est zazen lui-même qui nous guérit ».
Question 6 : « Je m’inquiète sur la relation entre le Bouddhisme et la vie sociale, la vie politique. Le Bouddhisme a été répandu tout au début par l’empereur Ashoka, qui était un guerrier sanguinaire et je me demande s’il n’a pas instauré le Bouddhisme, une fois son empire établi, pour instaurer la paix sociale et que donc, c’était un peu un prétexte. J’observe aussi cette pratique qu’il faut se contenter des politiciens qu’on a, même s’ils sont misérables, et je me demande si ce n’est pas un moyen pour éviter que le peuple ne se révolte. Dans quelle mesure les politiques ont-ils pu modifier les lois du Dharma ? Et aussi, est-ce que les pouvoirs spirituel et politique ne devraient pas être plus séparés ? »
Roland Rech : « Maintenant c’est le cas : en général le pouvoir spirituel et le pouvoir politique sont séparés. En tous cas dans la République française, la séparation de l’Église et de l’État, ça fait longtemps que c’est établi.
Mais cette question est un peu compliquée. C’est vrai que traditionnellement les religions étaient utilisées par le pouvoir pour maintenir le peuple dans un état de résignation, d’acceptation. C’est la raison pour laquelle les révolutionnaires, ceux qui voulaient vraiment changer l’ordre de la société, ont combattu les religions comme étant « l’opium du peuple », comme disait Karl Marx.
Le Bouddhisme, ce n’est pas « de l’opium ». On voit des moines assez engagés dans certains pays. Je ne crois pas à l’heure actuelle que le Bouddhisme soit utilisé à des fins politiques, mais ça a pu l’être. Heureusement, au Japon par exemple, l’empereur Meiji au moment de cette grande révolution culturelle (à la fin du 19ᵉ siècle) n’a pas utilisé le Bouddhisme pour cela, mais bien le Shintoïsme, la religion des kami. Finalement, je crois que c’est une bonne chose. Par contre, on ne va pas s’engager ici sur une discussion sur la relation entre le Bouddhisme zen et la politique, parce que ça serait trop long.
Je ne crois pas qu’à l’heure actuelle le Bouddhisme soit une cause de résignation par rapport à ce qui se passe dans le domaine social. En Europe, et en France en particulier, il y a des écoles qu’on appelle « Bouddhisme engagé » et je trouve ça très bien. Ils sont très engagés dans des actions sociales et ils essaient de le mettre en application, en pratique, les grands principes de sagesse et surtout de compassion qui sont développés par la pratique du Bouddhisme.
La seule chose que l’on peut regretter, c’est que les bouddhistes engagés souvent négligent un peu trop la pratique de la méditation elle-même au profit de l’engagement social et ça, ce n’est pas juste. À mon avis, il faut toujours garder un équilibre entre la vie intérieure et ce qu’on exprime à l’extérieur. En plus de ça, on n’a pas besoin forcément d’être engagé dans des actions politiques ou syndicales : il y a d’autres manières de vivre dans le quotidien en relation avec nos collègues, et avec les autres en général. Tous les contacts qu’on a dans la vie sociale sont des occasions d’exprimer le Dharma.
En tous les cas, il est certain que le zazen ne doit pas se limiter à ce qui se passe dans l’espace du dojo. Cela doit pouvoir déboucher sur une transformation de notre manière de vivre au quotidien et rayonner autour de nous ».
Question 7 : « Comment trouver la joie dans le quotidien dans un travail rébarbatif avec des taches pénibles, dans un quotidien stressant et parfois agressif ? »
Roland Rech : « C’est vrai que c’est difficile dans ces cas-là, on ne peut pas le nier. Mais il faut essayer déjà de remédier au stress, parce que soi-même on n’a pas le pouvoir de changer les circonstances autour de nous. Mais on peut essayer. Il ne faut pas hésiter d’essayer d’améliorer ce qui se passe autour de nous et ce qui est cause de souffrance et de stress, mais surtout ce qu’on peut faire, c’est travailler sur soi pour réagir intérieurement d’une manière différente, pour être moins affecté par les circonstances extérieures que l’on ne maitrise pas toujours, ou rarement malheureusement ».