Par Roland Yuno Rech – Temple Gyobutsuji à Nice, mars 2023
En fait, les 10 mérites de zazen sont évidemment les mérites de la pratique, les effets positifs de la pratique. Donc, il est important de les connaître, car cela augmente vos motivations à pratiquer. Cette conférence a pour but aussi de comprendre comment ces mérites peuvent se réaliser, c’est-à-dire comment zazen peut déployer ses effets libérateurs par rapport à toutes les causes de souffrance.
Vous savez que l’origine du Zen, c’est l’éveil du Bouddha Shakyamuni. Il a vécu cinq siècles avant Jésus Christ, il y a 2 500 ans, et sa motivation fondamentale est née quand il s’est aperçu que la vie est souffrance. Cette souffrance est liée notamment à la vieillesse, la maladie, la mort, au fait qu’on ne réussit pas toujours à obtenir ce qu’on désire, ou encore qu’on risque de perdre ce à quoi on est attaché, ce qu’on aime, ce dont on en dépend pour notre bien-être ou notre bonheur … Toutes ces choses sont des causes de souffrance auxquelles le Bouddha a souhaité trouver un remède.
Dans un premier temps, il a pratiqué des religions qui existaient en Inde à son époque : le yoga, l’hindouisme, des choses de ce genre. Souvent, il y avait beaucoup de mortifications dans ces pratiques. Or il s’est rendu compte que ces pratiques n’aboutissaient pas véritablement à ce qu’il espérait, c’est-à-dire à une vraie libération des causes de la souffrance, et il s’est mis à faire zazen. Il s’est mis dans la posture suivante : le corps bien droit, le menton rentré, les épaules relâchées, le ventre détendu, il se concentrait sur sa respiration (il y a même un sutra appelé Anapanasati, ou l’art de se concentrer sur la respiration) et il laissait passer toutes ses pensées. Ce sont là les principes de base même de la pratique de zazen. Dans cette pratique, il a fini par s’éveiller complètement.
Son éveil est ce qui a été transmis par la suite depuis 2 500 ans, que Maître Deshimaru est venu transmettre en Occident en 1967 et que maintenant nous continuons à pratiquer. Bien que Maître Deshimaru soit malheureusement décédé en 1982, nous continuons la pratique qu’il nous a enseignée. Et c’est lui qui, vers la fin de sa vie, a fait un enseignement sur ce qu’il a appelé « Les 10 mérites de zazen ». Au fond, toute sa vie a été consacrée à illustrer ces 10 mérites de zazen.
Avec un esprit mushotoku
Le paradoxe, c’est que le Zen a commencé en tant qu’école et à partir surtout du sixième patriarche, Maître Eno. Il y a eu un mondo très célèbre avec Bodhidharma. Bodhidharma était un moine indien qui est arrivé en Chine au Ve siècle après Jésus Christ. Le bouddhisme était déjà répandu en Chine. L’empereur Liang en particulier, était un adepte du bouddhisme, et à ce titre il avait fait construire nombreux temples. Quand Bodhidharma est arrivé, il a rencontré l’empereur et l’empereur a fait valoir tout ce qu’il avait fait pour le bouddhisme. Il lui a demandé : « quelle est l’ampleur de mes mérites ? », « quels mérites ai-je acquis grâce à ma pratique du bouddhisme ? ». Et Bodhidharma a eu cette réponse célèbre : « aucun mérite » et il a ajouté : « un vide infini et rien de saisissable ».
L’enseignement du Zen a commencé à partir de ce mondo célèbre entre Bodhidharma et l’empereur, c’est-à-dire à partir des notions fondamentales sur lesquelles a constamment insisté Maître Deshimaru : les mérites, les effets libérateurs de zazen ne peuvent se produire qu’à condition d’avoir un esprit mushotoku, ce qui veut dire un esprit sans avidité, sans avidité par rapport à nos désirs habituels, et mais même sans avidité spirituelle. C’est-à-dire sans avidité pour l’obtention du satori, du nirvana, de l’éveil.
Cela ne veut pas dire que le satori, le nirvana, l’éveil n’existent pas, ce sont même les grands mérites de la pratique de zazen de permettre de les réaliser, mais ils ne se réalisent qu’à condition que la pratique soit mushotoku, c’est-à-dire sans attente de mérites. Maître Deshimaru revenait quasiment tous les jours sur ce thème fondamental de l’enseignement.
Et c’est pour cela qu’il peut paraître un peu paradoxal de parler des mérites de zazen dans la mesure où l’on dit qu’il faut « pratiquer sans attendre aucun mérite, mais que le fait qu’on n’attend pas de mérites est ce qui permet de les réaliser ». C’est ce que je vais développer maintenant, à la suite de Maître Deshimaru, qui parmi ses derniers enseignements et dans les dernières années de sa vie, a beaucoup insisté sur ces 10 mérites de zazen. Il les a même fait inclure dans le sutra book que l’AZI avait publié : au milieu de ce livre de sutra, il y avait une page consacrée aux 10 mérites de zazen.