Les dix mérites de la méditation zen

Questions

– Q1 : Merci Maître pour vos explications et votre éclairage. J’avais plutôt une question pratique : vous parlez de la bouche et des cinq saveurs, quelles sont-elles ces cinq saveurs ?

– RYR : Salé, sucré, aigre, amer et piquant.

– Q1 : D’accord. Et il faut qu’on les retrouve quand on cuisine ?

– RYR : Oui, idéalement un tenzo doit s’arranger pour introduire ces cinq saveurs dans un repas.

– Q2 : Ma deuxième question est plus dans la démarche zen. Vous n’évoquez pas du tout, ou très peu, le karma ou le parcours karmique. Est-ce que ça existe ? Est-ce que c’est une orientation ?

– RYR : Oui, et c’est fondamental. Maître Dogen a consacré trois chapitres de son grand enseignement du Shõbõgenzõ à cette notion. L’un de ces chapitres s’appelle Sanjigo, les trois périodes du karma – san c’est trois, go c’est le karma. Il dit : « si vous n’êtes pas convaincu que vos pensées, vos paroles, vos actes, ayant une valeur en termes de bon ou de mauvais, peuvent avoir des conséquences karmiques… »

Karma veut dire « action », cela peut être l’action de la pensée, l’action de la parole, ou l’action avec le corps. Ce sont donc les trois types d’actions : mentales, orales et corporelles. Et Dogen dit : « si vous ne croyez pas que ces actions, tantôt bonnes, tantôt mauvaises, vont avoir des effets tantôt bons, si ce sont de bonnes actions, tantôt mauvais, si ce sont des actions mauvaises (mauvaises au sens de causes de souffrances), vous n’êtes pas apte à pratiquer la voie du Zen ».

Autrement dit, pour pratiquer la voie du Zen, il faut avoir un sens de la responsabilité. Responsabilité veut dire ici se sentir responsable de ses actes. Et comment se sent-on responsable de ses actes ? En prenant conscience des conséquences qu’ils vont avoir, pour soi-même, pour nos proches, mais aussi pour tout l’environnement.

C’est très important d’avoir cette conscience-là. C’est la conscience du karma. Dans le bouddhisme, comme en Inde à l’époque de Bouddha, les hindous avaient la même croyance. Il y avait cette idée que la vie ne s’arrête pas à la mort, qu’il y a une survie au-delà de la mort, et que dans cette autre vie après la mort, le karma de notre vie présente aboutira à des conséquences dans une vie ultérieure s’il n’a pas pu déboucher sur des conséquences dans cette vie même. On n’échappe pas au karma.

Ceci est une idée fondamentale que le Bouddha a reprise et qui existait avant lui. Dans l’hindouisme, c’était pareil. La pensée indienne fondamentale dit que tout ce que nous faisons a des conséquences et que ces conséquences ne s’arrêtent pas. Elles peuvent s’épuiser, mais elles ne s’arrêtent pas immédiatement.

Il y a des choses pour lesquelles les conséquences s’arrêtent très vite … Par exemple vous vous disputez avec quelqu’un, puis vous vous réconciliez : le karma provoqué par la dispute va être arrêté par le fait que vous avez été capable de vous réconcilier avec la personne en question.

Mais il y a aussi des actions dont les effets ne se sont pas manifestés dans cette vie. Il y a des gens qui croient qu’il suffit d’être habile pour échapper aux mauvais effets de nos mauvaises actions. Par exemple le voleur, s’il arrive à voler pour s’enrichir, s’il est suffisamment intelligent, il va pouvoir échapper à la police, échapper aux sanctions liées au mauvais karma du vol. Mais, dans le Zen, on ne pense pas comme ça, parce que, même si on échappe à la police, même si on échappe dans cette vie-ci aux effets du mauvais karma d’avoir été un voleur, cela nous rattrapera dans une vie ultérieure. Et on pense que des gens qui ont été des voleurs dans cette vie-ci vont être pauvres dans une vie ultérieure. La pauvreté, les conditions de vie difficiles sont la sanction dans une vie nouvelle du mauvais karma qu’on a pu avoir dans cette vie-là.

C’est aussi une incitation à la prudence et au respect des préceptes, à avoir une vie juste et une vie morale, parce que même si on est très malin, on n’échappe pas aux effets du karma. Parfois les effets se manifestent très rapidement : les gens font une mauvaise action et il leur tombe une tuile sur la tête peu de temps après, mais parfois cela prend du temps. 

– Q2 : Est-ce que ça signifie que la pratique de zazen favoriserait le bon karma et permettrait de nettoyer le mauvais karma d’éventuelles vies antérieures ?

– RYR : Oui, absolument

– Q3 : Merci pour cette transmission, parce que je me retrouve énormément dans ce que partage Maître Deshimaru sur l’esprit religieux et la foi. Quand tu disais « se relier aux autres », moi je disais ça quand je faisais de la médiation auparavant. A la base, « religion » c’est « relier » en fait. Je suis tout à fait d’accord avec toi, en tous les cas je partage cette expérience : plus on se relie au monde et aux autres, plus la vie est belle. Ça, c’est de l’ordre de la réalisation, donc je te remercie d’avoir mis cela en avant.

– RYR : Se sentir relié aux autres, c’est aussi être touché par la souffrance des autres. Et c’est aussi accepter soi-même de souffrir par compassion. Mais la souffrance par compassion n’est pas tellement profonde, parce que c’est quelque chose qui va déclencher en nous le désir de vraiment venir en aide, la pratique du don finalement. Le don de notre attention, notre énergie, notre affection pour soulager la souffrance des autres. Pratiquer le don est source de joie, donc de bonheur.

 – Q3 : Je dirais que dans l’esprit christique, côté catholique, j’apprécie énormément les enseignements du Christ, parce que si on ne les regarde pas comme un ordre donné, d’une obligation « d’aimer les autres comme on s’aimerait soi-même », en fait c’est très profond, parce qu’on n’est pas différent des autres. En fait, on est les autres. Si on aime les autres comme on s’aime soi, on aime la vie. Et ce n’est pas un commandement, c’est une vérité, parce que si on ne le fait pas, de toute manière, ce sera à nos risques et périls karmiques.

– RYR : Oui, tu as très bien compris.

– Q4 : Le problème, c’est que souvent on ne s’aime pas assez et donc on n’aime pas assez les autres. Comme si c’était assez facile de s’aimer soi-même. Ce n’est pas facile du tout.

– RYR : C’est vrai.

– Q4 : Justement en pratiquant la méditation, je vois beaucoup de défauts…

– RYR : C’est ce qu’on appelle « les ombres ».

– Q4 :  … Comme s’il y avait un zoom quand on médite et on se voit de plus en plus comme on est. Parfois on a l’impression d’aller en arrière, donc, ce n’est pas facile.

– RYR : C’est là qu’il faut avoir de la patience. La patience par rapport à ses propres illusions, ses propres bonno. C’est ce qui permet aussi de les accepter, parce que sinon, on va les refouler. La plupart des gens ne veulent pas voir leurs ombres, leurs mauvais côtés. Mais ces ombres les habitent quand-même, les font mal agir et ne pas se sentir forcément bien. Eclairer ses ombres, voir ses mauvais côtés, c’est aussi ce qui va être le facteur de changement, c’est ce qui va nous stimuler à dire « il faut que ça cesse ! Cette erreur, il ne faut pas que je la répète ». Maître Deshimaru, quand il nous critiquait pour nos erreurs, se mettait parfois carrément en colère pour nous impressionner, il se fâchait parce qu’on avait commis une erreur. Si on s’excusait : « oui, j’ai compris, j’ai fait une erreur, pardonnez-moi », il disait : « ce n’est pas grave, mais ne recommencez pas ». C’était son leitmotiv : « ne recommencez pas ». Donc, éclairer ses erreurs, c’est ce qui nous permet de progresser aussi. Et pour cela, il faut avoir de la patience par rapport à soi-même.