Pratiquer le Dharma

Le Dharma

Le mot Dharma est un mot magique : il contient plusieurs sens qui se correspondent.
L’étymologie du mot Dharma est : ce qui soutient, ce qui supporte. C’est d’abord la loi qui régit l’univers, toutes les existences. Maître Deshimaru l’appelait souvent l’ordre cosmique.
La première fois que je l’ai entendu à une conférence, à Sinal en 1972, il avait dit en commençant : « vous devez avoir peur de l’ordre cosmique » il m’avait un peu surpris et il avait enchaîné en disant : « vous devez avoir peur de ne pas suivre l’ordre cosmique, de ne pas suivre la loi du Dharma, la loi de l’univers et donc, en ne suivant pas cette loi de l’univers, cette réalité profonde qui fonde toutes les existences, vous allez générer de la souffrance pour vous-mêmes, pour les autres et pour la planète. Il parlait déjà à l’époque d’écologie, alors que ce n’était pas encore vraiment un souci très partagé.

Donc Dharma signifie d’abord l’ordre cosmique, c’est à dire que nous vivons dans un univers qui n’est pas un chaos mais un cosmos avec un certain ordre. Alors on peut dire qu’un bouddha c’est celui qui s’éveille à la vérité profonde qui régit toutes les existences et qui ensuite essaye de vivre en harmonie avec cela.

Le Dharma ne veut pas seulement dire la vérité de toutes les existences, la loi qui nous gouverne tous, qui fait qu’on existe, qu’on fonctionne mais qui signifie aussi toutes les existences. Un dharma c’est une existence, un être, un phénomène, une chose. Les Indiens avaient énuméré les dharmas dans l’Abidharma. Ils en avaient dénombré environ 78. Ils appelaient ces Dharma les éléments constitutifs de l’univers. Ils disaient que c’était tout ce qui existe dans l’univers, comme un assemblage de dharmas qui sont un peu comme des atomes qui constituent les êtres, les existences, la matière, le soubassement à la vie.

C’est donc à la fois la loi qui régit toutes les existences et en même temps les existences elles-mêmes qu’on appelle aussi Dharma et qu’on écrit alors au pluriel dharmas et avec minuscule.
Un autre aspect c’est l’enseignement, la doctrine du Bouddha c’est généralement comme cela qu’on l’entend. Quand on parle du Dharma comme l’un des trois trésors, c’est le thème de la conférence mais il est en relation avec les autres sens.

Un quatrième sens mais qui fait partie de ce sens de l’enseignement, la doctrine qui est l’ensemble des règles qui régissent une sangha.

Il y a deux grandes familles de sens et puis des sens dérivés mais finalement tous cela se correspond.

Ce qui est magique c’est qu’un seul mot désigne tout cela. Il désigne l’ultime vérité, il désigne les existences elles-mêmes qui sont régies par cette ultime vérité, il désigne à la fois la nature de l’éveil et ce à quoi on s’éveille, la nature de l’enseignement qui émane de cet éveil et puis finalement les lois concrètes qui régissent la communauté qui vit en harmonie avec le Dharma.

C’est une introduction sur le terme Dharma parce qu’il est souvent utilisé dans un sens un peu flou.
Ce dont je voudrais parler ce soir c’est le Dharma en tant que l’éveil de Bouddha, la réalité à laquelle il s’est éveillé surtout et comment il l’a enseigné.
Généralement on a tendance à dire surtout dans l’école du zen soto : « le Dharma du Bouddha c’est zazen. Et seulement zazen car faire zazen contient tout l’enseignement du Bouddha et les préceptes donc si on pratique zazen on n’a pas besoin à la limite d’étudier la doctrine du Bouddha, son enseignement, les quatre nobles vérités etc… puisque tout cela est inclus dans la pratique de zazen. »

D’ailleurs il y a un mondo célèbre d’un moine qui demande à Gensha : « J‘ai entendu dire que tous les enseignements, tous les Dharma ne sont pas nécessaires par rapport au fait de la venue de Bodhidharma d’Inde en Chine et de sa transmission du Dharma I Shin Den Shin, de mon âme à ton âme. »

De ce fait il pense comme pensent un certain nombre de disciples du zen, que cette transmission i shin den shin, d’âme à âme depuis le Bouddha mais surtout fortement actualisée par le vingt-huitième patriarche Bodhidharma et la transmission à Mahakashiapa auraient rendu non nécessaires tous les enseignements. Souvent dans le zen Rinzai on emploie ce slogan « kyoge metsuden » c’est à dire une transmission spéciale (metsuden) en dehors des écritures. Les écritures ravalées au rang d’accessoires non nécessaires, voire inutiles parce qu’on valorise à côté de cela la transmission de cœur à cœur, d’âme à âme, dans une pratique partagée en commun du zazen.

Bien sûr, je partage cette idée que l’essentiel c’est la pratique de zazen et cette transmission d’âme à âme, de maître à disciple. C’est le fondement même de toutes notre école du zen et surtout du zen Soto. Seulement de là à dire ou à comprendre que du coup tous les enseignements ne sont pas nécessaires, cela fait critiquer complètement Shakyamuni Bouddha qui a passé quarante-cinq ans de sa vie après son éveil à enseigner. Parce que après tout ce qu’on appelle le Dharma, les enseignements du Bouddha, ce sont des conférences comme celle que je fais ce soir qui ont été mémorisées et qui ont donné lieu aux soutras. Cela fait quarante-cinq ans de l’enseignement oral du Bouddha. Donc, dire que le Dharma en tant que doctrine et enseignement n’est pas nécessaire cela revient à dire que le Bouddha a perdu son temps pendant quarante-cinq ans, à prêcher. Il aurait très bien pu se taire. C’est ce qu’il a fait la fameuse fois où il a arrêté son discours, il fait tourner la fleur entre ses doigts et le sourire de Mahakashyapa et la phrase célèbre : « Je possède l’œil du trésor de la vraie loi , le shobo, le vrai Dharma et l’esprit serein du nirvana et maintenant il est transmis à Mahakashyapa. Donc ce soir je pourrais prendre une fleur et dire voilà la conférence est terminée.

Vous avez fait zazen, nous pratiquons zazen ensemble depuis de nombreuses années, demain nous ferons encore zazen c’est l’essentiel et le reste c’est des paroles. Par le vide.
Je ne crois pas que l’enseignement des doctrines du Bouddha soient des paroles vides mais je crois que comme le mot Dharma l’indique, elles soutiennent notre pratique. Il y a toujours cette étymologie du mot Dharma qui veut dire qui soutient, qui supporte. Je pense qu’avoir une doctrine claire, avoir clairement à l’esprit le sens notre pratique, le sens de l’éveil du Bouddha que nous suivons, que nous nous efforçons de réaliser à notre tour et d’actualiser dans notre vie, cela supporte notre pratique, cela nous supporte d’abord au niveau de la motivation. Cette motivation fondamentale qu’on appelle dans le zen hoshin (l’esprit du Dharma) ; c’est l’équivalent de bodaishin (l’esprit déveil). Quand on emploie le mot hoshin on veut dire bodaishin et c’est la motivation fondamentale de tous les pratiquants (devrait l’être) c’est à dire de pratiquer la voie dans un premier temps pour réaliser l’éveil jusqu’à comprendre finalement que la pratique elle-même est éveil.