Boddhisattva Kannon - Photo : Eric Tchéou

Kannon Gyo – Sutra de Kannon

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Par Jean Pierre Thévenin

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Nous parlerons dans un premier temps de Kannon, puis de la partie en prose du 25e chapitre du Sutra du Lotus pour aborder en troisième partie le poème de ce chapitre  : le Kannon Gyo.

1. Le bodhisattva Kannon

Le nom de Kannon, le culte de Kannon sont très importants dans le bouddhisme Mahayana (Grand Véhicule).

En Inde, on l’appelle Avalokitesvara, en Chine Guan nin, au Japon Kannon ou Kanzeon. 

C’est le bodhisattva de la compassion, souvent représenté par une statue aux mille bras pour aider tous les êtres ; dans chacune de ses mains il y a un œil qui représente le discernement. Ce bodhisattva, Sengu Kannon, symbolise les pouvoirs multiples de la compassion, qui se porte au secours de l’infinité des formes d’existence. On dit alors que Kannon devient MUSO, sans posture, au-delà de la posture, de la forme.
Au Japon il y a 33 manifestations de Kannon, parfois homme, parfois femme, enfant, chat, etc, pour aider et éduquer. Il y a même dans des îles du sud du Japon, une Marie Kannon, reste de l’influence chrétienne du XVIIe siècle.

Kannon est parfois représenté avec un panier de poisson. C’est une histoire très ancienne (1300 ans) qui eut lieu en Chine, dans un village de pêcheurs. Une belle jeune fille vendait des poissons, tous les garçons du village voulaient l’épouser. Elle déclara qu’elle n’accorderait sa main qu’à celui qui réciterait de mémoire le Kannon Gyo. Partout dans le village on entendit réciter le sutra et vingt jeunes hommes réussirent à l’apprendre par cœur. Aussi la jeune fille leur imposa une nouvelle épreuve qui était de réciter le Sutra du Diamant, ce que firent une dizaine de jeunes gens. Elle proposa donc à ces derniers d’apprendre le Sutra du Lotus, un seul vainqueur réussit l’épreuve et la jeune fille s’engagea à l’épouser, ce qui le mit au comble du bonheur. Mais en allant chez elle, le jeune homme la trouva morte sur le chemin, on mit son corps en bière et on demanda à un vieux maître zen qui passait par là de faire une cérémonie et de chanter le Kannon Gyo, mais lorsqu’ils ouvrirent le cercueil, le corps avait disparu, le maître disparut également. Le jeune homme désespéré songea au suicide mais il entendit la voix du maître qui lui dit  : « Vous avez la possibilité de devenir un grand maître zen et grâce à l’aide de Kannon, de devenir Kannon elle-même », il lui indiqua le temple de Kanshi où par la suite le jeune homme devint un grand maître et contribua à aider d’innombrables êtres, en particulier les femmes.

KAN signifie observer, voir / ON les sons du monde ; observer les souffrances du monde. Normalement on ne voit pas les sons avec les yeux, mais Kannon regarde avec l’œil de la sagesse, avec l’esprit vaste, l’esprit de zazen.

Dans l’Hannya Shingyo, Kannon est appelé Kan Ji Zai, le Bodhisattva de la Liberté. Le nom est différent mais c’est le même esprit de compassion qui est réalisé dans l’enseignement à Sariputra, disciple du Bouddha, qui représente la sagesse. La compassion enseigne à la sagesse.

Le Kannon Gyo, le Sutra de Kannon est un sutra qui est chanté dans notre tradition zen Soto. Ce sutra est une partie du 25e chapitre du Sutra de Lotus, c’est un poème, l’autre partie étant en prose. En japonais le Sutra du Lotus est appelé MYO HOREN GE KYO.

Dans ce chapitre, Kannon est aussi appelé KAN ZE ON. Avec lui il y a aussi trois autres personnages : Bouddha, Mujini (celui qui comprend tout à l’infini) et Jizo, (au Japon, le protecteur des enfants et des voyageurs),

La partie en prose du 25e chapitre du Sutra du Lotus

Au début du sutra, MUJINI demande à Bouddha : « SESON (vénéré) qui possédez la posture splendide, pourquoi KAN ZE ON, (c’est-à-dire Kannon), est appelé celui qui voit les sons du monde ? »
La posture splendide, c’est la posture de zazen, en zazen vous devenez des Bouddhas, la posture est la même que Bouddha.
Bouddha lui répond qu’entendre le nom de Kanzeon, voir son corps est capable d’anéantir les douleurs de l’existence qui sont liés aux 7 accidents.

2.1. Les 7 accidents

Bouddha décrit les 7 accidents qui peuvent arriver dans notre vie : tomber dans un grand feu, avoir des accidents dus à l’eau, être attaqué par des démons, être mangé par des cannibales, être cerné par des bandits, être entravé. A chaque fois on s’en sort grâce à la concentration sur Kannon. Même pas mal !

Ainsi on invoque l’aide d’une divinité, d’une puissance supérieure, l’être humain a toujours eu besoin de faire appel à une divinité supérieure, mais Kannon n’existe pas, fondamentalement elle est en chacun de nous, c’est la dimension de la compassion qui existe en nous. Chacun doit développer la capacité d’aider.

2.2. Les 7 trésors

Le Kannon gyo parle également de 7 trésors mais ils sont symboliques, ce ne sont pas des stocks d’or, d’argent, de nacre etc., les prendre au niveau matériel serait une lecture superficielle. C’est pourquoi Maître Deshimaru parle des trésors de la pratique de zazen.

  1. NEN KAKUSHI  : la concentration sur chaque chose
  2. TAKU KAKUSHI  : choisir entre les bonnes et les mauvaises choses, les bons et les mauvais souvenirs. Selon Maître Deshimaru, les sages ont une mémoire sélective qui ne retient que l’essentiel.
  3. SHOJIN KAKUSHI  : faire des efforts sur la Voie apporte de grands mérites
  4. KI KAKUSHI  : la joie du bonheur des autres
  5. JO KAKUSHI  : pas bouger, la concentration sur le corps. C’est le contrôle des contradictions. Dans la vie nous sommes remplis de contradictions comme par exemple  : je dois arrêter de fumer…mais je continue !
  6. SHA KAKUSHI  : abandonner, laisser tomber les objets d’attachement.
  7. E KAKUSHI  : la sagesse, en continuant zazen, les choses matérielles perdent de leur valeur.

2.3. Les 33 formes de Kannon

Au paragraphe suivant du Sutra du Lotus il y a une description des 33 formes revêtues par Kannon. Kannon prend des aspects infinis (symbolisés par le chiffre 33) pour éduquer et aider. Auparavant Kannon fut un Bouddha mais dans ce monde il est devenu le boddhisattva du bouddhisme Mahayana qui aide tous les êtres et donc se transforme en fonction de la personne à aider. Kannon a donc différentes dimensions.
Dimension de sainteté

Kannon peut se transformer en Bouddha, emprunter la dimension de Bouddha mais aussi il peut revêtir l’aspect de Shomon, celui qui a obtenu le satori en entendant la voix et l’enseignement de Bouddha (4 Nobles vérités) ou d’Engaku celui qui a obtenu le satori en observant les 12 innen, les 12 causes interdépendantes. Tous deux sont des ascètes du Bouddhisme Hinayana mais ce sont quand même des saints.

Dimension des dieux indous

Kannon prend également l’aspect des 3 divinités de l’Inde : Brahma (le créateur), Vishnu (le protecteur), Shiva (le destructeur) qui à l’époque du Bouddha Shakyamuni étaient des dieux très importants en Inde. Le Bouddhisme les a donc intégrés, néanmoins ils restent moins importants que les boddhisattvas.
Le sutra décrit ensuite des divinités que l’on rencontre dans les écrits bouddhistes ou en visitant un temple. Même si cela nous paraît très lointain, exotique, s’en inspirer peut être une aide sur la Voie.
Kannon prend par exemple la forme de TAISHAKUTEN (le dieu INDRA en sanscrit), déité qui protège les 10 kaï (10 Préceptes) et JIZAITEN qui lui au contraire est un dieu-démon qui enfreint les 10 kai. JIZAITEN gouverne le monde des désirs et joue avec les désirs en toute liberté. Trop de morale n’est pas bon, peut-être source d’illusion. Le démon peut parfois être utile…Le zen est la voie du juste milieu, ni trop dans les illusions ni trop dans le désir de pureté.

Kannon devient aussi DAI JIZAITEN qui est un dieu qui plonge dans le mauvais karma, dans les souillures. C’est le roi des démons, mais il peut les contrôler. Contrôler ses désirs, c’est le grand enseignement de maître Deshimaru.

Kannon peut devenir également TENDAISHOGUN, IDATEN en japonais. C’est un dieu qui court très vite et est devenu protecteur du tenzo. Celui-ci est rapide, travaille constamment à la réalisation des repas. Au Japon, dans les cuisines zen il y a toujours une statue d’IDATEN.
Puis en dernier il y a BISHAMONTEN, dieu brave, fort et puissant qui est devenu au Japon un dieu de la bonne fortune et de la chance. C’est de BISHAMONTEN qu’est venu le Kannon Gyo car il est tout puissant et protecteur.

Un autre dieu de la chance au Japon est BENZAITEN, dieu de la musique, émanation de la déesse indoue LAKSHMI, déesse de l’amour et de la sagesse, épouse de VISHNU, parfois nommée également SARAVASTI, déesse de la beauté et du bonheur. Un autre Dieu de la chance est HOTEI (Chinois), c’est le Bouddha au ventre rebondi, le Bouddha du futur, de la richesse et de la bonne nourriture.

On voit donc que Kannon relève de plusieurs traditions mélangées : indoue, chinoise, japonaise. Aussi a-t-il été (et est toujours) important dans la vie quotidienne des gens.
Autres formes de Kannon

Kannon se transforme également en brahmane, moine, laïc, homme, femme, riche, pauvre, dragon….
Il y a également la divinité SHINKONGOSHIN. Shin : dieu, Shin : prendre avec la main, kongo c’est le diamant c’est-à-dire le vajra, l’arme de diamant (foudre). Donc dieu qui protège le bouddhisme et que l’on trouve souvent à l’entrée des temples.

Le poème du Sutra du Lotus : Kannon Gyo

Le poème répète la même chose mais d’une manière plus poétique, il relève plus de l’intuition. C’est la partie que nous chantons, le Sutra Kannon Gyo
Comme dans la première partie MUJINI pose la question : « Pourquoi, par quel innen, est-il appelé KANZEON (kannon)? »

Les 12 Innen, c’est la loi de causalité : in, cause et en, interdépendance.

Bouddha répond en lui parlant des vœux, GAN, de Kannon, des vœux comme GAN dans le SHI GU SEÏGAN MON (vœux du bodhisattva que l’on chante matin et soir).Dans la vie on fait des vœux pour réussir, avoir la fortune, séduire, faire partie de l’élite… Le bodhisattva lui, fait des vœux infinis, des vœux purs, le sutra dit que ces GAN sont plus profonds et plus infinis que l’océan insondable.
Le Bouddha répond à Mujini : « En écoutant le nom, en regardant le corps, en concentrant son esprit sur le pouvoir de Kannon, sans rien laisser passer vainement, il est possible à ce moment-là de faire s’évanouir de nombreuses souffrances. »

C’est le thème du sutra : NEN (se concentrer) PI KANNON RIKI (pouvoir) : se concentrer sur le pouvoir de Kannon car se concentrer sur Kannon donne le pouvoir de supprimer la souffrance.

3.1. NEN PI KANNON RIKI

Concentrer son esprit sur les pouvoirs de Kannon.

Concentrer son esprit sur les pouvoirs de Kannon, c’est se concentrer en zazen. Pendant zazen on pratique KAN, le KAN de Kannon. KAN c’est voir l’éphémère, voir MUJO (l’impermanence) dans le moment présent. Pour la plupart des gens l’impermanence fait souffrir. Tout vieillit, meurt, prend fin rapidement alors on préfère l’oublier. KAN c’est plonger dans l’éphémère et y trouver la paix de l’esprit. Aller dans le courant, plonger, c’est différent que d’être poussé dans l’eau. Dans le zen on parle aussi d’HISHIRYO, HISHIRYO est semblable à Kan, voir ce qui apparaît et disparaît à chaque instant.

Cette formule NEN PI KANNON RIKI, se concentrer sur le pouvoir de Kannon est répétitive, elle est répétée 12 fois dans le sutra. Cela correspond aux 12 choses désagréables qui peuvent nous arriver mais qui grâce à la concentration sur Kannon se transforment. C’est une reprise de la partie en prose.

  1. Si l’on vous pousse dans un cratère enflammé, par le pouvoir de Kannon, il se transforme en lac. C’est la métaphore de l’esprit qui a des soucis, qui est en enfer, en colère, se sent rejeté, qui court après l’argent, le whisky…
  2. Tous les accidents dus à l’eau, être attaqué par les poissons (les requins à la Réunion), balloté à la surface de l’eau, dériver sur l’océan des bonno… Un jour heureux, le lendemain triste.
  3. On vous pousse du sommet du mont SUMERU et par le pouvoir de Kannon vous restez accrochés dans le ciel. Trop d’orgueil, trop de confiance en soi, trop d’idées préconçues et de préjugés, du style « j’ai raison les autres se trompent ».
  4. Vous êtes persécutés, vous tombez du mont KONGO, vous ne perdez pas un cheveu.
  5. Vous êtes cernés par des voleurs. Par le pouvoir de Kannon, ils seront animés par l’esprit de compassion. Kannon a le pouvoir de changer l’esprit.
  6. Condamné à mort par l’empereur, l’épée du bourreau se brise en mille morceaux. L’empereur c’est l’ego tout puissant. La véritable substance de l’ego c’est MUGA, la non substance.
  7. En prison, le cou enserré par un carcan. Tout le monde est dans un carcan  : professionnel, familial… on veut réussir, avoir une belle maison, se faire élire…
    Proverbe  : le moine zen, l’idiot, le chat s’assoient toujours à la même place.
  8. Si quelqu’un veut nous empoisonner, cela se retourne contre lui. Comme les moines tendai qui empoisonnèrent Bodhidharma avec du thé. Bodhidharma comprit de suite ce qui se passait, il versa la moitié de la tasse sur un rocher qui se fendit en deux, tuant la plupart des moines, puis il but le reste du thé et s’endormit tranquillement sachant qu’Eka, son disciple continuerait son enseignement.
  9. (10 et 11) Si vous rencontrez des démons, des fantômes, des dragons vénéneux, des animaux féroces, si vous êtes piqués par des serpents…par le pouvoir de Kannon…
    Ce sont tous les désirs animaux, les serpents représentent les petits bonno qui peuvent être dévastateurs comme la jalousie, la rancune, l’avarice…
  1. S’il y a du tonnerre, des éclairs, s’il pleut à verse, les nuages s’éloignent par le pouvoir de Kannon. Les nuages, c’est l’ignorance, l’orage, c’est tout ce qui crée des querelles, des disputes, de la mésentente, tout ce qui accroit l’égoïsme.

Par le pouvoir de Kannon, on peut faire décroitre l’égoïsme qui apporte la souffrance. L’ego fait sombrer dans le Naraka, l’enfer, la souffrance. La grande liberté de Kannon c’est Mushotoku, pratiquer sans but personnel, pour les autres, pour le cosmos tout entier.

Il y a une histoire de Bouddha qui se promène près du lac de Lotus et regarde le Naraka (l’enfer) au fond de celui-ci. Il y voit un meurtrier qui s’y débat. Cependant ce meurtrier avait un jour sauvé une araignée, sur le point de l’écraser il avait arrêté son geste. Aussi le Bouddha décida de l’aider. Il jeta un long fil d’araignée dans les profondeurs du Naraka. Le meurtrier saisi le fil transformé en corde et commença à monter pour s’échapper de cet enfer. Un moment, épuisé, il s’arrêta et regarda machinalement vers le bas. C’est alors qu’il vit plein de personnes qui comme lui montaient pour sortir de l’enfer. Il pensa « ce fil est à peine solide pour moi, si tout le monde s’y accroche, il va se casser et je ne pourrais plus m’enfuir d’ici … » A cet instant précis, le fil se brisa et tous retombèrent dans les profondeurs du lac.

3.2. KAN : observer

Suite à la série des NEN PI KANNON RIKI le sutra décrit 5 sortes de KAN qui font décroître la souffrance et apportent bonheur et joie. C’est toujours le Kan de Kannon, Kanzeon, KAN qui veut dire observer.
Par exemple l’observation de l’esprit, SHIN KAN, produit la sagesse illimitée, la sagesse compatissante.

KAN c’est zazen, voir son esprit mais aussi voir que cet esprit n’est pas tellement différent des autres.

3.3. Fin du poème : JIZO apparaît

JIZO apparaît, JIZO est le protecteur des voyageurs, des enfants et en particulier des enfants décédés. Au Japon, ses statues toujours dans la rue, jamais à l’intérieur, pour pouvoir toucher tous les êtres. Il est aussi appelé en Inde KSHITIGARBHA : sauveur des âmes tombées dans l’enfer.
A la fin JIZO dit : « Seson, si les êtres sensibles entendent ce sutra, leurs mérites et vertus ne seront pas minimes, 84000 êtres sensibles produisent BODAI SHIN ».
On retrouve ici un des thèmes du Sutra du Lotus, les mérites reçus en l’écoutant et en le diffusant.

Bodai shin c’est l’esprit d’éveil. 84.000 cela veut dire une infinité, comme le chiffre 33. Cet esprit d’éveil n’est pas différent de la compassion.

Si on se concentre sur le pouvoir de Kannon, il est inutile d’avoir peur de quoi que ce soit, des accidents par exemple.
Quand on se concentre en zazen nous devenons Kannon. Kannon plonge au milieu des souffrances et change d’aspect, prend de nombreuses formes pour aider à mettre un terme à toutes les souffrances