Poèmes d’un moine idiot

Par Marc Van der Maat – Kannon Dojo de Bruxelles

Petite visite du Maître

Après l’effort
du travail de la terre,
le corps détendu, les muscles réchauffés,
le moine jardinier fait une petite pause
avec les commentaires du Maître
sur le Jijuyu Zanmai sur les genoux . . .

Une brise chante dans les branches, tout doux,
leurs fleurs s’ouvrant au soleil printanier,
offrant à tous l’enseignement
depuis son temple lointain, citadin . . .

Tout petit instant de clarté dans le ciel de l’esprit,
le chien voit le moine qui se lève faire sampai
puis s’en retourner vers le potager
planter des oignons . . .


Zazen du matin

Nous sommes trois
Ce matin
Dans la pénombre du dojo

La pluie tombe
L’encens monte
Entre terre et ciel

Les trois joyaux
Scintillent à la lueur des bougies
Et dans les étoiles s’éteignant dans l’aube fraîche


Mouvement immobile

Traversée de la ville après le zazen du matin
Le traffic intense ne faisait aucun bruit et
Exalait une odeur subtile de fleurs sauvages

Avec bienveillance toutes les souffrances
Se transformaient en gouttelettes adamantines
Voie lactée végétale brillant au soleil

Sur la plate bande au milieu du boulevard
Un oiseau se promenait
Entre les fleurs en chantant ‘mu’ ‘mu’


Matinée

Ils entrent petit à petit,
Petits et grands,
Bavards ou taiseux,
Maigres et bedonnants,
Anciens, nouveaux, jeunes, vieux et débutants. . .

Tous ont monté l’escalier qui tourne et
Qui tourne encore jusqu’au dernier étage,
En pleine forme ou essoufflés, ils ont été accueillis
Avec bienveillance par les plantes sur le palier
Et par le Bouddha qui y s’est installé, calmement assis. . .

Déchaussés, ils entrent, petit à petit,
Calmement ou rapidement dans la montagne
Pour la matinée de zazen qui transmutera
Le bruit de la ville dans les coeurs et les esprits
En parfums de pins solitaires et sans éclats …


De fil en aiguille

Les commerçants crient en bas
Les sirènes hurlent sur le boulevard
Accompagnées par le rythme désordonné
D’innombrables claxons dissonnants

Mais autour de la table règne
Un noble silence concentré
Le boulevard si proche est bien lointain
Dans cet espace élevé au sens propre et figuré

Chacun suit et poursuit le mouvement lent
Et le rythme ordonné et régulier d’une
Aiguille et de son fil à travers un bout de tissus
Déjà sacré, sous l’oeil expert du responsable vigilant

Au fil des saisons qui se suivent comme des
Points de rakusu, chacun avance à son rythme
Avec son ouvrage, transformant pour le bien de tous
Des fibres enmêlées en rizières libérées


Mujo

La cloche sonne et résonne
Dans la pénombre calme et matinale
L’encens se répand doucement dans tous les univers

Quelques montagnes noires
Laissent passer des nuages dans le ciel
Sur le toît le merle accueille les premières lumières du jour

Que dire de plus ?

R i e n


L’exemple

Avec son corps frêle et fragile
Le vieux moine fait sampai
En remontant péniblement,
Puis essoufflé replie son zagu délicatement

Une fois habillé il redescend
Prudemment l’escalier, grâce à l’aide
D’un bodhisattva costaud qui
Le tient par le bras, lentement

Jamais il ne manquera un jour
De très bonne heure il sera toujours
Le premier à ouvrir le dojo pour
Accueillir tous les pratiquants

Mais de grand matin ils ne seront
Pas très nombreux pour se réunir
Avec lui pour le zazen de l’aurore
Mais toute la ville sait que lui, il sera là, toujours et encore . . .

M e r ç i


Kin in

Le froissement d’un kesa et
Les claquements, droite, gauche,
Du kyosaku qui se promène derrière nous,
Ramenant notre esprit de son escapade oubliée

Ici et maintenant l’univers
Respire à nouveau dans ce corps-esprit,
Naturellement, toujours et encore et à l’infini,
Dans cet instant unique perçu et aussitot relâché

La cloche sonne deux fois et
Les froissements de dizaines de kesas s’envolent,
Les gorges se râclent et les corps se meuvent doucement,
C’est l’heure de kin in : debout, debout !