La souffrance

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Mondo avec Roland Yuno Rech

Question : Y a-t-il des souffrances que l’on ne puisse pas résoudre, la maladie par exemple, ou bien la voie décrit-elle la possibilité de changer de point de vue sur la maladie ?

Roland Yuno Rech : Bien sûr et c’est en partie l’essentiel. Pour Bouddha, toute souffrance est liée au fait d’être né dans ce monde. Le fait de naître implique la décrépitude, la vieillesse, la maladie et la mort. Pour ne pas tomber malade ou devenir infirme, pour ne pas mourir un jour, il faut trouver le moyen de ne pas naître. C’est le point de vue le plus radical de l’enseignement de Bouddha. Il s’agit d’en finir avec ce qui provoque la naissance, avec le désir d’exister en tant qu’individu. C’est un aspect de son enseignement et c’est surtout ainsi que les disciples du petit véhicule, le hinayana, l’ont compris. Mais par la suite, l’aspect le plus important fut celui auquel tu faisais allusion : changer le point de vue sur la vie. Ce n’est pas de trouver le nirvana dans la non-naissance mais dans le non-attachement au fait d’être né, à tout ce qui constitue notre individualité. Dans ce nirvana là il y a extinction de l’avidité, de la haine, de l’ignorance et donc de toutes les souffrances morales liées à ces bonnos. Mais il reste tout de même une souffrance objective telle la maladie, la douleur physique, la vieillesse, l’infirmité. Et cette douleur existe même pour un Bouddha. Par exemple, Bouddha a eu une diarrhée dont il est mort. Ses derniers moments furent pénibles mais il trouvait cela normal. Il disait : « De toutes façons, je vous l’avais bien dit, il faut mourir un jour, alors, c’est normal ». Il souffrait, son corps était délabré mais il était dans l’acceptation de ce délabrement. Si on n’est pas trop attaché à son corps, à sa petite santé, alors on peut accepter d’être malade. Ce n’est pas drôle et on ne peut pas s’en réjouir mais on peut vivre la maladie de manière sereine en ne rajoutant pas la souffrance de l’ego à la souffrance objective de la douleur physique. On peut en faire tout un drame ou le prendre plus légèrement : c’est le détachement. Dans un kusen, maître Deshimaru disait : le zen, ce n’est pas supprimer radicalement la souffrance mais la dédramatiser.

Question : Il est dit dans les quatre nobles vérités que la souffrance découle principalement de l’ego, mais qu’en est-il de la souffrance physique intense ou la souffrance d’un deuil, elle est bien réelle tout de même ?

R.Y. R. : Bien sûr, mais c’est quand même l’ego qui souffre, sinon, il y a simplement une douleur. Je prends l’exemple de la douleur au genou. Bon, il y a douleur au genou. Comment va-t-on réagir par rapport à cette douleur au genou, cela peut devenir souffrance. Il ne s’agit pas de supprimer toute douleur, mais d’abandonner l’attachement qui fait qu’une douleur peut nous envahir complètement et devenir une grande souffrance.
Si on a mal au genou, on peut se dire : c’est simplement une douleur au genou, et rester concentré sur sa posture, sa respiration. La douleur persiste mais c’est un phénomène local. Il n’y a pas moi qui ai une douleur, il y a juste une douleur. C’est très différent que de commencer à se battre contre la douleur.

Question : Il y a maintenant 2500 ans que les gens pratiquent zazen, mais du point de vue de la souffrance, il n’y a pas beaucoup d’évolution. Quand on est confronté à la souffrance des autres, que représente la souffrance que l’on ressent en zazen ?

R.Y. R. : Cela permet d’être plus réceptif à la souffrance, de développer un plus grand esprit de compassion. Vous ne devez pas croire que votre pratique de zazen est limitée. Même si une seule personne fait zazen, cela a une influence invisible. On est relié avec toutes les existences de l’univers. Vous avez aussi votre vie quotidienne, sociale, professionnelle, votre famille. Il est certain que si vous pratiquez zazen, vous aurez une vie plus généreuse, plus compatissante, et cela ne peut avoir qu’un effet bénéfique.

Question : Et pensez-vous qu’en pratiquant zazen on peut résoudre tous les problèmes ?

R.Y. R. : Non, mais je ne vois rien de mieux à faire. Il est important de donner aux êtres le moyen de s’aider eux-mêmes. Le zen n’est pas là pour donner des solutions. Ce n’est pas une idéologie. Mais cela doit permettre aux gens de ne pas rester bloqués dans des impasses. Senseï (Maître Deshimaru) disait que le zen c’est la voie sans impasse.