La joie dans la pratique du Dharma

D’ailleurs, les Quatre Nobles Vérités, c’est comme cela. Il y a de la souffrance, certes, il y a des causes à la souffrance et on les découvre dans la pratique (l’avidité, la haine et l’ignorance, les poisons dont on vient de parler). Mais il y a aussi le nirvana, c’est-à-dire la cessation de la souffrance. La souffrance n’est pas quelque chose d’inévitable et d’éternel. Il n’y a pas du tout de damnation éternelle dans le Bouddhisme. C’est pour cela que les bouddhistes sont des gens joyeux, parce qu’ils n’ont pas du tout la perspective d’une souffrance éternelle. Au contraire, la grande source de joie, c’est de se rendre compte qu’il y a un remède à tout, parce que rien n’arrive sans cause. Et si on est capable, grâce à la méditation, de prendre conscience des causes des souffrances que nous avons ou que d’autres gens autour de nous ont, dès l’instant qu’on en connait les causes, c’est comme pour les maladies, il y a remède. Bien sûr, il y a des maladies incurables, ou encore incurables actuellement. Mais cela ne veut pas dire qu’elles le seront toujours. En tous les cas, pour ce qui est la souffrance psychique, la souffrance morale, il y a des remèdes, et pas seulement le zazen d’ailleurs : il y a d’autres remèdes, des psychothérapies, la relation avec des autres, etc. En tous les cas, le zazen est particulièrement favorable pour remédier aux causes de la souffrance et donc finalement, ça nous évite d’être trop altérés par cette souffrance, de perdre confiance et donc perdre aussi la joie de vivre.

Il y a une joie fondamentale à prendre conscience que c’est une chance inouïe d’être né sous forme humaine. Il y a des gens qui auraient rêvé d’être un animal ou d’être un arbre, car apparemment, les arbres ne souffrent pas trop (ce qui n’est pas vrai d’ailleurs, car maintenant on découvre beaucoup la sensibilité des plantes). Dans tous les cas, être joyeux d’être né sous forme humaine, c’est quelque chose d’extraordinaire. Cela veut dire que – quelle que soit notre condition (qui peut parfois paraitre un peu misérable) – le fait d’être né sous forme humaine est une grande chance.

Pourquoi ? Parce que c’est la possibilité de s’éveiller. Dans le Bouddhisme, on ne parle jamais de l’Eveil des animaux, simplement parce que les animaux n’ont pas la même conscience développée que nous avons. Donc, ils peuvent être tout à fait heureux de vivre, mais il n’y a pas la prise de conscience même du fait d’être heureux ou malheureux … Du moins je ne crois pas, je ne sais pas, peut-être que si ? Mais en tous les cas, nous, on a la chance de prendre conscience de ce qui se passe pour nous et surtout de prendre conscience du fait qu’il y a un remède et encore plus, que lorsqu’on rencontre la pratique d’une voie comme le zazen. Mais c’est valable aussi pour les gens qui rencontrent le Christ en rentrant dans une église et qui du coup en sont transformés. Il n’y a pas que le Zen dans la vie.

Dans tous les cas, je me souviens que lorsque j’ai découvert la pratique de zazen dans le temple de Kodo Sawaki, (je crois que c’était en juillet 1972 au Japon), j’ai été envahi par une joie extraordinaire. C’est pour ça que j’aime bien aussi en parler, parce que pour moi c’était marquant. Le premier zazen, la joie, c’était même « trop », c’était une émotion tellement forte que j’en étais presque comme étourdi. J’ai dû me concentrer sur l’expiration pour calmer cette joie et continuer zazen. Sinon, je me serais levé et j’aurais commencé à danser dans le dojo.

Voilà, ce sont les points essentiels que j’ai notés. J’aimerais que l’on poursuive ceci non pas comme une conférence, mais comme un atelier, c’est-à-dire où – comme chacun a l’expérience de la joie comme du malheur, de la tristesse – on évoque un petit peu les questions et les éventuelles réponses qu’il y a en ce qui concerne ces émotions. Parce que la joie est une émotion.

Des fois on dit : « Les émotions ce n’est pas bien ». Je me rappelle, dans les enseignements d’Arnaud Desjardins cette tentation répétée de considérer les émotions quasiment comme un péché, c’est-à-dire comme quelque chose qu’il faut absolument éviter, parce que c’est ce qui perturbe la paix de l’esprit, comme le bonheur, etc. J’en avais parlé avec lui et finalement il m’avait dit : « Non, c’est une mauvaise compréhension de ce que j’enseigne. Mais c’est vrai que beaucoup de gens en retiennent ça. » Donc, le zen n’a pas du tout pour but de nous rendre apathique.

Apathique, ça veut dire « sans passions, sans sensations, sans attachements, sans émotions ». On peut même tout à fait pratiquer le zen et être attaché, mais être conscient de cet attachement et éviter que cet attachement ne devienne une cause de souffrance, de souffrance excessive en tous les cas. Par exemple, je vois ici des personnes qui sont des mères de famille. Il est normal pour une mère d’être attachée à ses enfants. Un enfant ne pourrait pas survivre si sa mère ne lui était pas attachée. Donc c’est tout à fait naturel et c’est aussi une source de joie, parce que – quand on est attaché à quelqu’un – on a de la joie à lui faire plaisir, à prendre soin de sa santé, à lui donner beaucoup de choses, à l’éduquer, … Donc même l’attachement n’est pas forcément opposé à la joie. Il y a des attachements qui sont positifs en quelque sorte, qui sont justifiés et qui vont dans le sens de la vie. Et il y a des attachements évidemment qui sont malheureux. Toutes les addictions, par exemple, c’est terrible… Boire un verre de vin ou deux avec des amis, trinquer ensemble et faire la fête, c’est une source de joie dans la vie quotidienne. Mais devenir dépendent de l’alcool est un grand malheur, une grande souffrance.

Je dis ça parce que c’est l’occasion de préciser certaines choses concernant la pratique du Dharma. La pratique du Dharma n’est pas du tout quelque chose d’austère. Dans les monastères zen au Japon, j’ai constaté que les moines étaient très joyeux. Cela m’a beaucoup frappé. Au monastère d’Antaiji, où j’ai été la première fois, il y avait une petite pause après zazen et le repas. Et les moines rigolaient, ils étaient vraiment joyeux, c’était la fête. Pourtant ils menaient une vie simple.

Maintenant, je voudrais continuer sous forme de dialogue. Est-ce que vous êtes joyeux ? Ou est-ce que quelqu’un est dans la tristesse en ce moment et n’a pas de joie de vivre ? Non ? C’est déjà une bonne chose, ça me réjouit … »