4. L’esprit d’attachement s’affaiblit
Pour cela, il est important de comprendre quelle est la véritable nature de nos attachements. Souvent quand on entend cela, en particulier les femmes, en particulier les mères, elles sont un peu révoltées et c’est normal, parce que l’attachement est fondamental pour donner la vie. Pour élever des enfants, il faut que leurs mères leur soient attachées, sinon ils n’ont aucune chance de survie. Ça m’émeut quand je dis ça, parce que c’est un point absolument essentiel : pouvoir aimer sans attachement ne veut pas dire être indifférent. C’est vraiment aimer l’autre pour l’autre, et pas seulement pour ce qu’il nous apporte. Evidemment on reçoit de l’autre, il y a un échange dans la relation. Toute relation implique un échange. Mais le véritable amour, l’amour sans attachement peut-il vraiment exister ? Oui, et c’est vraiment l’amour de l’autre pour l’autre.
Et c’est fondamental pour la santé mentale, pour les enfants par exemple. Si une mère ou un père, un parent, est trop attaché à son enfant, il ne le laisse pas respirer, il ne le laisse pas vivre, il ne le laisse pas se développer et ne laisse pas l’enfant tracer sa voie. Souvent les parents veulent que l’enfant aille dans telle ou telle direction et réalise ce qu’eux-mêmes n’ont pas pu réaliser, ils attendent que l’enfant réalise leurs rêves. Ce n’est pas possible. Si on fait ça, ce n’est pas le véritable amour. C’est là qu’on comprend que le véritable amour ne peut qu’aller de pair avec une certaine dose de détachement. Ce n’est pas un détachement de l’autre, c’est un détachement par rapport à soi-même, par rapport à sa propre avidité.
5. Les influences perdent de leur puissance
Il faut voir à quel point notre vie sociale fait de nous des êtres sous influence. On est constamment influencés par la publicité, par la propagande, par le groupe social dans lequel on vit et qui a ses propres valeurs, par ses propres préjugés. La pratique de zazen nous aide à ressentir finalement « qu’est-ce qui m’influence ? ». Être capable de discerner ce qui vient profondément de moi et ce qui résulte du fait que je suis dans une société dans laquelle il y a des modes, des valeurs, toutes sortes de croyances qui m’influencent, qui m’empêchent d’être véritablement moi-même…
La pratique de zazen, c’est vraiment une pratique qui nous aide à être plus lucides, plus conscients de ce qui nous influence, de façon à ne pas le négliger et de faire le tri.
Evidemment, il y a aussi de bonnes influences. Notamment la sangha, la communauté de ceux qui pratiquent zazen : on s’influence mutuellement parce qu’on partage le même désir d’approfondir la pratique ensemble, de nous éveiller, de remédier aux causes de la souffrance, de développer l’esprit de compassion. Ce sont des valeurs fondamentales du Zen et le fait de pratiquer dans une sangha nous influence positivement. Donc, la méditation nous aide à discerner sous quelle influence nous sommes : est-ce que nous sommes influencés par la publicité, la propagande, la mode, les désirs des autres ? Et puis à faire le tri.
6. La peur s’évanouit
Ceci est un point très important. À la fin de sa vie, Maître Deshimaru et la communauté zen ont fait l’acquisition du temple de La Gendronnière, qui se trouve au sud de Blois. Dans cette propriété il y avait un petit château, une gentilhommière en quelque sorte. Maître Deshimaru l’a appelé « le château de la Non-peur », Muijõ, c’est le nom qu’il a donné à La Gendronnière.
Parmi ses derniers enseignements, il y avait ce thème de la peur et de la non-peur. Il insistait sur le fait que la non-peur ne peut se réaliser qu’à condition d’avoir un esprit détaché, l’esprit qui n’a pas peur de perdre ce à quoi il est attaché. Or quelle est la peur principale que nous avons tous ? En général, c’est la peur de mourir, car un être a peur de mourir, c’est normal. Mais cela veut dire qu’on est trop attaché à notre petite existence. Cela nous gâche la joie de vivre, l’esprit libre, libéré de l’angoisse de devoir mourir un jour. Donc, la non-peur est fondamentale pour réaliser le véritable bonheur. Pour cela, il faut arriver à avoir une pratique de méditation qui nous libère de l’enfermement dans notre petit égo, qui nous fait réaliser la vraie dimension de notre vie qui est une vie en harmonie, en unité avec tout l’univers, dans laquelle il y a moins de peur de perdre quelque chose, ou ne pas obtenir ce qu’on désire.
Mais il y a aussi une vertu de la peur. La première fois que j’ai vu Maître Deshimaru, c’était en 1972 à Zinal. Il a fait une conférence et il a dit : « vous devez avoir peur de perturber l’ordre cosmique, de ne pas vous harmoniser avec la nature ». Il était donc écologiste avant l’heure. Il disait : « à cause de leur égoïsme, les êtres humains provoquent un tas de souffrances, un tas des dégâts dans la société, dans l’environnement ». Il faut donc commencer par avoir peur de faire cela, peur du danger auquel nous nous exposons et auquel nous exposons les autres, à cause de nos illusions, à cause de nos attachements.
D’ailleurs, l’éveil de Bouddha a commencé par le fait qu’il a pris conscience en voyant un malade, un vieillard et un corbillard où on amenait un cadavre pour être incinéré … Le Bouddha a pris conscience de l’impermanence, et de la souffrance qu’il y a si on ne peut pas accepter cette impermanence, de la peur qui résulte de la non-acceptation de l’impermanence.
C’est encore l’un des mérites de zazen de nous aider au discernement, et donc à la sagesse, c’est-à-dire de voir de quoi nous devons avoir peur. Il ne s’agit pas d’être intrépide, car les gens intrépides sont des gens dangereux. D’ailleurs, pendant la dernière guerre on a fait des tests psychologiques pour les militaires, les américains en particulier, et il a été décidé que les gens qui n’avaient pas peur ne pouvaient être envoyés dans des missions dangereuses, parce qu’il leur manquait cette prudence fondamentale. Donc, il faut de la prudence.
La peur est qui nous rend prudent. Par exemple actuellement, les jeunes sont très préoccupés par la vie sur cette planète et beaucoup sont centrés sur l’écologie. Ils ont tout à fait raison, c’est l’avenir de la vie qui est en jeu. Il faut avoir peur d’endommager les conditions de la vie, de notre propre vie, mais aussi de la vie des animaux, des plantes et de tout ce qui rend la vie possible. Donc la peur peut être à la fois une source de sagesse, mais aussi être paralysante et un poison.