Une montagne n’est ni vraie ni fausse

Traductions ABZE disponibles (PDF) :        

Par Roland Yuno Rech à Nice en 2014 (France)

Transcription d’un podcast disponible sur le Temple Zen Gyobutsuji
Téléchargement : Cinq enseignements retranscrits (PDF)

Pendant zazen nous donnons toute notre énergie à la posture du corps et nous prêtons toute notre attention à la respiration. Et nous prenons soin de ne pas poursuivre nos pensées, d’arrêter de discriminer. Bien sûr des pensées, des discriminations surgissent. On en prend conscience un instant, mais on ne s’y arrête pas : on revient à la posture du corps, à la respiration.

Ainsi ce n’est plus le mental qui discrimine qui nous dirige. L’esprit en zazen doit effectuer cette véritable conversion, cette révolution intérieure d’abandonner le mode de pensée ordinaire, qui est conditionné par « j’aime, je n’aime pas », autrement dit par nos émotions, nos désirs et nos aversions. Non pas qu’on va les refouler ou les réprimer, mais que l’on ne leur accorde plus tant d’importance.

Mais cela on ne peut pas le réaliser volontairement ; on ne peut pas décider d’arrêter de discriminer, de préférer ou de rejeter ; car ce serait de nouveau une préférence ou une discrimination. Seule la grande concentration sur la pratique avec le corps permet d’être au-delà de l’esprit dualiste, et de réaliser ce qu’on appelle l’état de conscience hishiryo. Shiryo étant l’esprit qui mesure et qui compare sans cesse, donc le mode de fonctionnement du mental et de l’ego.

Ce qui permet d’aller au-delà de ce mode de fonctionnement ordinaire, c’est que la pratique de zazen devient plus forte, plus énergique que nos habitudes mentales ; que la pratique elle-même nous entraîne au-delà. Elle facilite le lâcher-prise. Encore une fois, vouloir lâcher prise est très difficile, mais si on s’absorbe dans la pratique, le lâcher-prise se produit naturellement. Car notre énergie est ailleurs que dans le désir de saisir, de posséder ou de rejeter.

En zazen on peut voir clairement que toutes les positions dualistes telles que l’attachement au vrai, au faux, au bien, au mal sont le produit de nos fabrications mentales. Une montagne n’est ni vraie ni fausse, elle est juste telle qu’elle est. Un tigre n’est ni bon ni mauvais, il est juste tel qu’il est.

Les êtres humains discriminent, parce qu’ils se sont constitués un ego, ils se sont identifiés à cet ego. Donc est beau et bien, bon, tout ce qui le favorise, lui est agréable ; est mauvais tout ce qui le dérange. Même si dans la vie quotidienne ces discriminations sont inévitables, en zazen nous pouvons aller au-delà, et ainsi nous réconcilier avec la réalité de la vie de chaque instant, être davantage dans l’acceptation de ce qui est tel que c’est. Quand il fait chaud, il fait simplement chaud. Ce n’est pas la peine de pester contre la chaleur. Et cela évite de s’échauffer l’esprit, c’est-à-dire d’ajouter toutes sortes d’émotions à la réalité de ce que nous vivons dans l’instant présent.

Cela ne veut pas dire une totale passivité par rapport aux phénomènes que nous rencontrons, mais éviter de réagir émotionnellement, se donner le temps, la possibilité de voir réellement ce qui se passe, et donc décider de l’action à entreprendre calmement, en fonction de nos valeurs, et non pas en fonction de nos désirs et de nos aversions.

Ainsi expérimenter en zazen une manière d’être au-delà de toute dualité, de tout dualisme, permet d’aborder les phénomènes de la vie quotidienne avec beaucoup plus de sérénité. C’est ce qui permet au bodhisattva de vivre dans le monde et d’y continuer sa pratique d’éveil avec les autres, de les aider réellement, sans pour autant être dans la souffrance ou le sacrifice. Mais bien plutôt comme le prolongement de la pratique de zazen, une manière de vivre éveillée.