Un vide infini et rien de sacré

Roland Yuno Rech, Jodo pour Kessei Ango, 2009

« Quelle est la vérité sacrée du bouddhisme ?
« Kakunen musho, un vide infini et rien de sacré. »

Kakunen, le vide infini, l’ultime réalité, est au-delà de toute saisie possible, au-delà du sacré et du profane. Maître Joshu répondait plus sobrement : « mu ».

Ce qui est vraiment saint est ce qui nous libère de toutes nos fabrications mentales et découvre kakunen, l’esprit vaste comme le ciel qui n’est pas dérangé par le passage des nuages.

Mais n’est-ce pas déjà trop dire ?
Si l’on croit comprendre la sainte vérité, on tombe dans l’erreur. Si on ne comprend pas on mérite trente coups de kyosaku. Mais il est un non-savoir qui est au-delà de comprendre et de ne pas comprendre et qui est grande libération. Tosan ne s’était pas préoccupé des Quatre Nobles Vérités. Cela ne l’empêcha pas d’être joyeux comme quelqu’un qui a trouvé une perle brillante sur un tas d’ordures.

Dès que l’on créé une différence, si infime soit elle, une distance illimitée sépare le ciel et la terre. Ensuite on fait beaucoup d’efforts pour combler la distance qu’on a soi-même créée. Certains partent même en pélérinage.

Abandonner tout désir de saisir est plus simple : non seulement on ne risque plus de se laisser abuser par les autres, mais on réalise qu’ici est le lieu ou la Voie existe. Lorsque je suis allé au temple de Niwa Zenji, j’ai demandé à un de ses proches disciples : « Qu’est-ce que maître Niwa t’a transmis ? »

Il m’a répondu : « En ce qui concerne le Dharma, maître Niwa ne m’a rien enseigné, et je lui en suis infiniment reconnaissant. Arigatai koto desu. »
Ces paroles m’impressionnent toujours autant et me rappellent Maître Tosan qui respectait beaucoup maître Ungan pour la même raison. Quand il prit congé de lui, il lui dit : « Plus tard quand on me demandera quel était l’essence de votre enseignement que devrai-je répondre ? »
Maître Ungan lui dit : « Répond : c’est simplement cela. »

Nous ne sommes jamais séparé de cela. C’est ce que maître Obaku appelait la merveilleuse coincidence silencieuse. Notre pratique permet de la réaliser en abandonnant ce qui y fait obstacle.

Et finalement on voit qu’il n’y a rien à abandonner, car rien n’a été saisi. C’est ce qu’expriment les mains en hokkaijo-in. Lorsqu’on y dépose son esprit, c’est le moment ou comme le dit Niwa Zenji dans ce dojo :

« Zazen no tokini, Otokewa Otokewo miru » : pendant zazen c’est Bouddha qui regarde Bouddha.

Ainsi se réalise la transmission I shin den shin. Et je fais le vœux qu’elle continue à avoir lieu et nous fasse vivre l’éveil de Dogen dans ce poème :

« Marchant dans ce monde illusoire semblable à un rêve ,
Ne regardant pas même les traces que je peux avoir laissées,
Le chant d’un coucou me fait signe de retourner à la maison.
L’entendant, je penche la tête pour voir qui m’a dit de rentrer.
Mais ne me demandez pas ou je vais,
Car je voyage dans ce monde sans limite
Ou chacun de mes pas est ma maison. »